55. Gaîté, souvenir 3
Lieux
Avril 71
Gaîté
Souvenir
Rue de Seine
Le 16 avril 71
11 h du matin
La rue de la Gaîté appartient à un trajet principalement estival de l’année 56 (ou 57 ?). Dans sa configuration modèle (évidemment sujette à de multiples variables) mon itinéraire part de la rue Saint-Honoré, emprunte la rue des Pyramides (arrêt-tilt1 au café qui fait le coin avec la rue de Rivoli, point de départ, ai-je vu ou appris depuis, des excursions Cityrama ou quelque chose de ce genre en bus à double étage), traverse les jardins des Tuileries (que ne parent pas encore les copies de Maillol – ou bien si ?) traverse la Seine sans doute au Pont-Royal, ignore, je pense, la rue du Bac (ça ferait pourtant un sacré détour2) mais longe un instant les quais (bouquinistes, espoir de trouver un vraiment porno, mais les rares achats sont toujours plus que décevants), arrive à Saint-Germain-des-Prés (vraisemblablement par la rue Bonaparte), emprunte invariablement la rue de Rennes jusqu’à Montparnasse, puis la rue d’Odessa, puis la rue de la Gaîté, puis l’avenue du Maine jusqu’à Alésia, puis la rue d’Alésia, puis la rue de la Tombe-Issoire, et enfin la Villa Seurat. Ceci trois fois par semaine, en début d’après-midi.3
L’existence de la rue de la Gaîté (et son emprunt trihebdomadaire) (et son choix comme jalon) est spécifiquement lié aux4 habitations de J[acques] L[ederer].
Mais merde ! ma machine qui se met à déconner (et cette fois-ci ça a l’air grave). Le réparateur doit (a promis de) passer cet après-midi. En revenant5, j’ai rencontré une Portugaise qui travaille chez ma lingère et qui va peut-être prendre en main mon ménage6.
Ce stylo n’était pas agréable. Je n’aime pas en ce moment écrire à la main.
Dommage : j’avais envie de parler de la Gaîté.
1 Pour « tilt » voir le texte 5, n. 12.
2 L’étrangeté de cette remarque s’atténue si l’on se souvient que Georges et Paulette Perec habitèrent rue du Bac à partir de 1966 et jusqu’au début de 1970 (date de leur fête de « dépendaison de crémaillère » – voir le texte 26).
3 Cet itinéraire mène Perec chez son psychanalyste, Michel de M’Uzan, avec qui il fut en cure de mai 1956 à la fin 1957 (voir le texte 5, n. 4) ; dans la mesure où Perec n’habite rue Saint-Honoré qu’à partir de la fin de l’année 1956, l’hésitation du début du paragraphe se résout : il s’agit de l’été 1957. Dans le film de Bernard Queysanne, Propos amicaux à propos d’« Espèces d’espaces » (voir le texte 14, n. 18), Jacques Lederer raconte que Perec lui demandait de l’accompagner à ses séances chez De M’Uzan et qu’il devait l’attendre jusqu’à sa sortie ; c’est peut-être une autre explication de cet itinéraire joignant la rue Saint-Honoré à la Villa Seurat en passant par l’avenue du Maine, où vit alors Jacques Lederer, et la rue de la Gaîté, qui lui est liée comme Perec le précise plus loin dans le texte.
4 Passage à la seconde page, manuscrite (voir le chapeau introductif et la suite immédiate du texte).
5 Perec ne précise pas d’où, mais on peut inférer du contexte qu’il est probablement passé chez un réparateur de machines à écrire, la sienne donnant des signes de défaillance depuis le texte 30 au moins (en voir le début), écrit un mois auparavant.
6 Passage du feutre – montrant effectivement des signes d’usure sur le manuscrit – au crayon (voir le chapeau introductif et la suite immédiate du texte).