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21. Gaîté, réel 1

novembre 1969

Lieux n° 21
Gaîté
Réel
Novembre 1969

1er décembre 1969
18 h
(recopié le 6 XII 15 h au Moulin)

Venant de la nouvelle gare Montparnasse (auparavant de Saint-Lazare, plus précisément de la rue de Liège, point d’aboutissement d’un habituel voyage Moulin-Paris1), j’arrive à Gaîté par l’avenue du Maine. Je comptais m’arrêter dans le café (connu de longue date) « Aux Armes de Bretagne » (ses saucisses-frites, ses tilts2) ; il est fermé, apparemment pas pour travaux. On aurait plutôt l’impression qu’il a fait faillite ou qu’il a été vendu, etc. (attente d’une transformation radicale dans les années qui viennent : il est vrai que l’autoroute annulera toute la rue Vercingétorix)3.

Je me rabats sur « Les Mousquetaires », presque en face, avenue du Maine (où je suis venu, un jour de 55 ou 56, chercher Jacques et/ou son père qui faisaient un billard4). Les (cinq) billards sont toujours là. Je ne les vois pas, mais j’entends de temps à autre le bruit caractéristique des boules se heurtant.

Juke-box : Moustaki chante sa gueule de métèque5.

Clientèle clairsemée. Beaucoup de solitaires. L’un à verre de rouge (mi-clochard). Un Coréen (ou Japonais) qui ressemble à un des joueurs du club de Go (et peut-être me regarde comme s’il cherchait à me reconnaître6).

Deux Algériens.

Un jeune barbu, dont l’amie arrive sur ces entrefaites (et plus tard rejoint par un autre couple).

C’est un mauvais poste d’observation. On ne voit que l’avenue du Maine, mal éclairée, et l’amorce, plus obscure encore, de la rue Vercingétorix.

La sortie du métro Gaîté.

Un lampadaire portant des affichettes du kiosque à journaux :

Nouveau

Spécial Dernière (en biais ?)

« Le Tiercé de Monsieur »7.

Contre le lampadaire (sous ladite affichette et, me semble-t-il, en cachant une autre8), un cyclomoteur jaune.

Beaucoup de monde dans les rues.

Peu de suiveurs ou suiveuses de mode (l’un de mes actuels dadas9) : un manteau très long de faux cuir ; une peau, fourrure à l’intérieur.

Beaucoup ont des paquets.

Des pains.

Petit drame au comptoir. Un homme (martiniquais ?) a renversé un paquet contenant (entre autres ?) une bouteille de vin. Il porte une casquette. Le patron à gilet rouge l’aide (on aurait pu craindre pire10) à réparer les dégâts.

Encore des pains, des paquets, des sacoches.

Travailler fatigue11.

Sales gueules fermées. Même les enfants des écoles.

Peu d’oisifs.

Lassitude en haut des marches du métro Gaîté.

Re-Moustaki.

Magasins peu ou pas éclairés.

Quincaillerie en face des « Armes de Bretagne ».

Lingerie à côté des « Armes de Bretagne ».

Du pain.

Des paquets.

Des journaux12.

Je quitte mon poste d’observation vers 18 h 30.

Errance et coups de téléphone aux Lederer rue de la Gaîté.

« Gaîté-Montparnasse » : Mise en pièces du Cid13.

Restaurant des « Mille Colonnes ».

Un nouveau magasin de mode à la place d’une librairie (?).

Cinémas : Tout peut arriver, Les Professionnels, Sept hommes pour Tobrouk 14.

« Îles Marquises ».

Rue d’Odessa15.

« Lucernaire » (où je crois que Philippe Drogoz joue – mais j’apprendrai plus tard que je confonds avec « La Vieille Grille »16).

Agence immobilière.

Cinémas vers Montparnasse.

Rue de Rennes…

À « L’Arlequin » : Dieu que la guerre est jolie ! 17.

Hésitation pour dîner ; finalement, « La Petite Source »18.

Polar : Agatha Christie : Drame en trois actes (jamais lu).

Lucky Luke : Jesse James 19.

Retour rue de l’Échaudé20 vers 22 h 30.

NOTES

1 Parenthèse absente de la prise de notes et du texte publié. La rue de Liège est située derrière la gare Saint-Lazare ; mais Suzanne Lipinska possédait également un appartement dans cette rue (voir également la fin du texte 85).

2 Parenthèse absente de la prise de notes. Pour « tilt », voir le texte 5, n. 12.

3 Depuis « on aurait plutôt l’impression… » jusqu’à la fin de la parenthèse : absent de la prise de notes. Cette autoroute (la « radiale Vercingétorix ») fut finalement abandonnée après un début de réalisation.

4 Jacques Lederer habitait alors chez ses parents avenue du Maine, donc non loin de la rue de la Gaîté. Son père adoptif se nommait Joseph Lederer.

5 Var. texte publié : « chante “Avec ma gueule de métèque” » ; le titre exact de cette chanson de Georges Moustaki sortie en 1969 est “Le Métèque”.

6 Parenthèse absente de la prise de notes. Ce « club de Go » est sans doute le Club de Go de Paris qui s’est créé en juillet 1969, notamment autour de Jacques Roubaud et Pierre Lusson, et finit par être hébergé par le « Trait d’Union », un café-restaurant de la rue de Rennes. Perec le fréquentait. Sur la manière dont Perec a connu le jeu de go, voir l’entretien avec Jacques Bens et Alain Ledoux, « Et ils jouent aussi… Georges Perec », Jeux & Stratégies, n° 1, février 1980 (repris dans ECTRI, p. 475-476). Voir aussi le texte 13, n. 14.

7 Spécial Dernière : journal consacré aux courses hippiques et au tiercé. La parenthèse « (en biais ?) » est absente de la prise de notes et ne comprend pas de point d’interrogation dans le texte publié. « Le Tiercé de Monsieur » est sans doute le slogan de la publication.

8 Parenthèse absente de la prise de notes.

9 Parenthèse absente de la prise de notes. Var. texte publié : « Peu de gens suivent la mode (j’essaie d’être attentif à cela) ». L’attention toute « sociologique » que Perec porte à la mode s’accomplira dans l’article « Douze regards obliques » (publié dans le numéro 3 de la revue Traverses, février 1976, p. 44-48 ; repris dans PC, p. 43-58).

10 Parenthèse absente de la prise de notes ; dans le texte publié, la parenthèse est déplacée à la fin de la phrase, ce qui en modifie le point d’incidence.

11 Comme le remarque Annelies Schulte-Nordholt, il s’agit d’une allusion probable au principal recueil de poèmes de Cesare Pavese, Travailler fatigue (Lavorare stanca, 1936) (« “Guettées”, une archive personnelle et collective ? », CGP 12, p. 191).

12 La prise de notes s’arrête ici.

13 Spectacle mis en scène par Roger Planchon et représenté au « Théâtre Montparnasse » de novembre 1969 à février 1970 (et non au « Théâtre de la Gaîté-Montparnasse » – la confusion entre les deux théâtres est déjà présente dans le texte 12).

14 Tout peut arriver : comédie dramatique de Philippe Labro (1969) ; Les Professionnels : western de Richard Brooks (1966) ; Sept hommes pour Tobrouk : film de guerre de Mino Loy (1969).

15 Var. texte publié : « Je passe devant le restaurant “Aux Îles Marquises” et je repars par la rue d’Odessa. » Le texte publié s’arrête ici, Perec quittant alors la rue de la Gaîté.

16 Comprendre, non que Perec confond le « Théâtre du Lucernaire » (encore installé à l’époque passage d’Odessa avant destruction du lieu et installation rue Notre-Dame-des-Champs) et le « Théâtre de la Vieille Grille » (rue du Puits-de-l’Ermite, dans le cinquième, hors de son itinéraire), mais se méprend sur l’endroit où joue Philippe Drogoz, ami musicien de Perec dont celui-ci fit la connaissance fin 1968 par une amie de Paulette travaillant à la Bibliothèque nationale de France (Paulette Lordereau), qui composa la musique du film Un homme qui dort et avec qui l’écrivain collabora et eut plusieurs projets – dont divers Hörspiele (littéralement « jeux pour l’oreille » : il s’agit d’un type de pièce radiophonique non narrative, jouant avec les moyens spécifiques de la radio : mélange ou répartition des voix, bruitages, stéréophonie… et surtout pratiqué en Allemagne) et L’Art effaré, un livret d’opéra qui serait en même temps sa partition ; en voir une présentation par Bernard Magné et le dossier dans Les Cahiers de l’IRCAM, n° 6, 1994, p. 151-183.

17 Ah Dieu ! que la guerre est jolie, film musical de Richard Attenborough (1969).

18 Voir le texte 12, n. 1.

19 Drame en trois actes, d’Agatha Christie, est une aventure d’Hercule Poirot parue en 1934 aux États-Unis et en 1949 en France ; Jesse James, album de bande dessinée de Morris et Goscinny paru en 1969 (série des aventures de Lucky Luke).

20 Voir le texte 14, n. 14.

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