19. Saint-Louis, souvenir 1
Lieux
Souvenir
Île Saint-Louis
Octobre 1969
2 novembre 1969
Moulin d’Andé
11 h
Il est significatif que je sois en retard. Ce lieu n’appartient pas au passé. Il était, lorsque mon projet s’est formé, celui qui me reliait au passé le plus proche, le plus brûlant. Il aurait été le prétexte (fallacieux) de repasser « par là » au moins une fois par an, d’avoir l’excuse d’y (sic 1) penser au moins deux fois par an.
Ce n’est pas qu’il n’y ait aucun souvenir lié à ce lieu, au contraire, mais je ne sais pas comment les dire, comment les traiter. Ils continuent d’appartenir au présent ; ils éclairent mon avenir (d’une certaine façon).
L’Île est un des endroits où je vis aujourd’hui, comme le Moulin, le CHU ou le « Bar du Pont-Royal »2.
Alors que ce livre me semble de plus en plus tourné vers le passé, vers ce que j’étais, vers tout ce qui me forma (?).
Des lieux morts qui doivent survivre (et en janvier l’Île était ce lieu par excellence, presque lieu maudit)3.
1 Commentaire de Perec qui souligne peut-être ainsi le caractère inapproprié du pronom adverbial « y » appliqué à Suzanne Lipinska dont l’île Saint-Louis est la métonymie.
2 Le Moulin d’Andé ; le CHU Saint-Antoine où travaille Perec ; le « Bar du Pont-Royal », café de la rue Sébastien-Bottin, près des éditions Gallimard, fréquenté notamment par des écrivains (voir le texte 14, n. 23). C’est apparemment Jean Duvignaud qui fit connaître ce bar à Jacques Lederer et Georges Perec en 1958 (voir CPL, p. 128 et 132). La mention « BPR » (« Bar du Pont-Royal ») est plus que fréquente dans les agendas de Perec.
3 Les réflexions qui constituent ce « souvenir » ne se comprennent qu’en relation avec le fait que Perec entreprend le projet de Lieux au moment de sa rupture (amoureuse mais non pas amicale) avec Suzanne Lipinska, dont l’île Saint-Louis est le lieu parisien puisqu’elle y avait un appartement.
