96. Saint-Louis, réel 4
1.3.73
Saint-Louis
(décembre 72)
Passage quasi quotidien à bord du 86 devant la rue.
Presque vide.
Un passant traverse.
L’horloge de l’église marque depuis plusieurs jours midi1.
1 Il s’agit de l’église Saint-Louis-en-l’Île dans la rue du même nom, dont l’horloge, accrochée perpendiculairement au mur du clocher comme une enseigne sur la rue est effectivement visible depuis le pont de Sully où passe le bus 86 (que Perec prend devant l’hôpital Saint-Antoine où il travaille pour gagner le Quartier latin ou Saint-Germain-des-Prés).
1973-1974
Comme Perec l’explique dans « Les Lieux (Notes sur un travail en cours) », dans Espèces d’espaces, qui est pour l’essentiel écrit en 1974 : « Trop préoccupé, l’année dernière, par le tournage d’Un homme qui dort (dans lequel apparaissent, d’ailleurs, la plupart de ces lieux), j’ai en fait sauté l’année 1973 […] » (EE, p. 100). En réalité, si quelques textes furent écrits le premier semestre de 1973, parfois avec retard ou partiellement (textes 97, 98, 100, 104), ce n’est que fin octobre 1974 que Perec se remettra vraiment au travail, notamment pour rattraper son retard global et écrire rétrospectivement les textes prévus en 1973 (voir ses explications au début du texte 99) ; plus précisément, le 28 octobre il écrit le texte 104 (« réel » d’Assomption complémentaire), le 4 novembre le texte 117 (« souvenir » d’Italie), le 21 novembre le texte 118 (« réel » de Vilin), le 23 novembre le texte 99 (« souvenir » de Gaîté), le 26 novembre le texte 101 (« souvenir » de Jussieu) et le texte 114 (« réel » de la Contrescarpe), le 30 novembre le texte 107 (« souvenir » de Junot), le 3 décembre le texte 109 (« souvenir » de Choiseul), le 8 décembre le texte 105 (« souvenir » de Saint-Honoré), les 9-11 décembre le texte 113 (« souvenir » de Mabillon), le 14 décembre le texte 110 (« réel » de Saint-Louis), le 15 décembre les textes 102 (« réel » de Junot), 112 (« réel » de Choiseul) et 106 (« réel » de Saint-Honoré), le 23 décembre le texte 116 (« réel » de Mabillon), le 30 décembre le texte 120 (« réel » d’Italie), le 31 décembre le texte 103 (« souvenir » d’Assomption) et le texte 108 (« réel » de Jussieu), enfin en décembre sans précision de jour le texte 111 (« souvenir » de la Contrescarpe) et 115 (« souvenir » de Vilin) – le texte 119 (« souvenir » de Saint-Louis) étant rédigé quant à lui le 2 janvier 1975. On mesure ici l’énormité de l’effort et le vif désir de Perec de renouer avec son projet après une longue période d’inaction. En ce qui concerne 1974, les deux premiers tiers de l’année constituent pour lui une période aussi chargée en travail que l’année 1973 (opérations de promotion pour le film Un homme qui dort, participation à la vie et au devenir de Cause commune, écriture d’Espèces d’espaces et reprise de celle de W ou le souvenir d’enfance, expérience et écriture de Tentative d’épuisement d’un lieu parisien, travail sur Je me souviens, Alphabets, La Vie mode d’emploi, lectures de pièces radiophoniques pour l’ORTF, etc.) et psychologiquement difficile (errances amoureuses, analyse avec Jean-Bertrand Pontalis et mort d’Esther Bienenfeld notamment). Néanmoins, s’il écrit peu de « lieux », il tient très fidèlement durant toute cette année 1974 un agenda-journal (à part de son agenda ordinaire) où il consigne le factuel de ses journées (heure et état du lever, emploi du temps, activités, déplacements, rencontres et surtout nourritures et boissons qui formeront le contenu listé de la « Tentative d’inventaire des aliments solides et liquides que j’ai ingurgités en 1974 » qui sera publié dans le n° 65 d’Action poétique en mars 1976). Dans le film Un homme qui dort, il développe une sorte de stratégie de remplacement des « lieux » absents (même si la décision de faire figurer les douze lieux avait été prise avant le tournage du film et donc à une époque où Perec n’était pas si en retard), comme il l’explique à Luce Vigo dans l’« Entretien avec Georges Perec et Bernard Queysanne » sur le film Un homme qui dort : « Vous avez dit tout à l’heure que c’était d’abord un film sur Paris. Les lieux choisis ont-ils un rapport, Georges Perec, avec votre existence ? G. P. – Depuis 1969, j’écris sur une durée de douze ans un livre sur douze lieux de Paris, un texte assez compliqué. Une fois que ces lieux sont décrits, je ne relis pas, je cachette l’enveloppe et je recommence l’année suivante. J’essaie un peu ainsi d’emprisonner le temps. Un système de permutations me permet de décrire chaque lieu à un mois différent de l’année. Ces lieux sont liés à mon histoire personnelle et auraient dû, en principe, figurer tous dans le film. Mais, par exemple, l’un de ces lieux, la place d’Italie, est représenté par la main de Spiesser qui fait poinçonner un ticket d’autobus. Ce qui est plus important, c’est que le lieu du plan final est la rue où je suis né. On n’a pas trouvé d’autres endroits, sur les hauteurs de Belleville, où il y ait à la fois des rues abandonnées, des immeubles très modernes, des chantiers de construction et une découverte générale sur Paris. […] » (ECTRI, p. 224). Pour d’autres « remplacements » ou relais, voir le chapeau introductif du texte 2. Selon Bernard Queysanne (dans un entretien avec Cécile de Bary, « Propos amicaux. Entretien avec Bernard Queysanne », CGP 9, p. 123), Perec ne lui avait cependant pas révélé, au moment du tournage de la fin du film, l’importance pour lui de la rue Vilin. Dans le calendrier d’ensemble de Lieux (reproduit dans l’introduction de ce volume), Perec se contente de surcharger 1973 et les années qui suivent par : 1974, 1975… 1981 (au lieu de 1980 comme terme antérieur du projet), le bi-carré latin d’ordre 12 organisant la combinatoire générale n’étant alors pas modifié dans les appariements de lieux, de « souvenirs », de « réels » et de mois de l’année.