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46Assomption

45. Contrescarpe, souvenir 2

novembre 1970

Dimanche 8 novembre 1970
15 heures
Contrescarpe / Souvenir

Moulin d’Andé

Je ne vais presque plus place de la Contrescarpe. Cette année, il est possible que je n’y sois passé qu’une seule fois, et précisément pour la décrire. Je revenais du Moulin en voiture (avec Maurice ; après avoir attendu longtemps à Mantes où Michèle faisait une enquête sur la pollution) ; ce devait être en avril, S[uzanne] était en Guinée. J’étais un peu seul ; Michèle était malade et ils sont rentrés tout de suite en me larguant rue des Boulangers ; je suis passé voir P[aulette] ; elle n’était pas là ; j’ai failli entrer dans le cinéma de la rue Monge (« Monge Palace »1 ?), mais il était trop tôt. J’ai décidé d’en profiter pour décrire la place ; je me suis assis à la terrasse de « La Chope » (est-ce bien « La Chope » ?) ; ma description m’a pris tout au plus un quart d’heure, puis je suis allé voir Monique, et j’y ai trouvé P[aulette] ; j’ai dîné avec eux et nous avons regardé un film (Liaisons secrètes ?) à la télé2.

Je n’ai jamais vraiment été un familier de la place, un de ceux qui passent leurs jours et leurs nuits dans l’un des deux ou trois (ou quatre) cafés (il y en a d’ailleurs un peu plus à chaque fois ; des espèces de snacks ou crêperies qui s’ouvrent). Même quand j’allais très fréquemment rue Blainville, à l’hôtel des étudiants tunisiens (Nour, Abdelkader Zghal, Amor, Ahmed Griba – qui d’ailleurs vivait ailleurs – etc., – dont certains dont je n’ai su qu’après, en Tunisie, qu’ils y avaient vécu – par exemple Lassoued3), j’allais rarement dans un des cafés de la place, beaucoup plus fréquemment au « Soufflot » ou au « Quartier-Latin ».

Quand nous nous sommes installés rue de Quatrefages, nous avons pendant un certain temps pris très régulièrement nos repas au « Volcan ». Je me souviens en particulier y être allé une après-midi, pour manger une glace (un citron ou une orange givrée) alors que nous venions d’emménager ; je devais, sans doute, faire de menus travaux parapsychosociologiques à l’époque car nous étions avec Lili et Agnès Guilloi (et peut-être Crubs)4.

Beaucoup plus tard, nous sommes allés, de temps en temps, aux « Arts », au moment où nous avons rencontré Jean Michaud (dont j’ai eu des nouvelles tout récemment et que je devrais appeler un de ces jours prochains) qui habitait à côté.

Un peu plus tard Crubs habitait rue Pestalozzi (dans la même maison sans doute que Michèle aujourd’hui) ; nous sommes allés le voir, l’y avons, exceptionnellement, trouvé, avec son ou ses chats, et Maho (dont nous avons fait ainsi connaissance) et sommes allés boire un pot aux « Cinq Billards », café connu pour être fréquenté par la bande à ? (j’oublie chaque fois son nom : Mattéi) parmi lesquels les voisins de palier de Michaud (dont une fille actrice vint une fois au Moulin) et auxquels (tous ceux-là) je suis relié par un graphe compliqué où se mêlent Maspero, Anne-Marie Le Gal, Michaud, etc.5.

Autres souvenirs de la Contrescarpe :

– vers septembre 69, un pot, avec Henry G[autier] et P[aulette] avant d’aller chercher Monique pour dîner au « Restaurant du Marché » ; j’aperçois et salue dans la rue Denise Péron, presque en clocharde6 ;

– en juin ou juillet, tentative pour y passer la nuit (dans le cadre de ces « Lieux ») mais « La Chope » a fermé vers 3 h/3 h 30 et j’ai traîné assez lamentablement7 ;

– un bal de 14 juillet ? peut-être, je ne me souviens pas, c’est possible ; mais je crois souvent me souvenir de petits bals sur des petites places (Furstenberg ?) ;

– vers juin 68 j’ai dîné au « Volcan » avec Paulette ; conversation engagée avec deux voisins à propos de moquette, de société de consommation, etc. Ils avaient surtout envie de se faire offrir à boire, ce que nous avons d’ailleurs fait8 ;

– ce con de Thuillier9. Finalement, il y a des chances pour qu’il ne soit jamais devenu médecin. Un jour j’ai cherché son nom à la Bibliothèque de la Faculté de médecine, pour savoir ce que ce con avait pris comme sujet de thèse, mais je n’ai pas trouvé son nom. Habitait, lui aussi, rue Pestalozzi ;

– je ne suis jamais allé au « Cabaret » d’Arlette Reinberg. Mais je l’ai vue, elle, ici, le jour où elle nous a amené quelques restes du Living Theater, des beaux restes, mais des restes quand même, paumés avec leur connerie végétaro-zénoïde10.

NOTES

1 Dans le texte 31 (« Contrescarpe, réel 2 »), Perec appelle ce cinéma le « Monge » (fermé en 1974) ; « Monge-Palace » était son ancien nom.

2 Dans la « Note sur la Contrescarpe du lundi précédent » ajoutée au texte 31, Perec évoque avec davantage de précision les circonstances rappelées ici ; en voir les notes pour identifier personnes et lieux. Liaisons secrètes est le titre français de Strangers when we meet (film de Richard Quine, 1960), donné en anglais dans cette « Note ».

3 Lassoued : il peut s’agir de Hassen Lassoued, connu par Perec à Sfax où il était professeur ; mais figure également dans un agenda de Perec un certain Sadok Lassoued habitant à Sousse (FGP 31, 3, 5, 34 r°) – et il semble en outre qu’un autre Lassoued ait été connu par lui plus tôt encore (voir le texte 89, n. 7).

4 Agnès Guillou : voir le texte 24, n. 6. En 1960, année d’emménagement de Paulette et Georges Perec rue de Quatrefages, en effet, ce dernier et nombre de ses proches ou amis (dont Ela Bienenfeld, Jacques Lederer, Roger Kleman, Dominique Frischer et aussi Jean Crubellier) gagnent leur vie en pratiquant pour des instituts de sondage des études de marché ou enquêtes psychosociologiques (activité qui sera d’abord celle des deux personnages principaux des Choses, Sylvie et Jerôme – voir par exemple dans Œ1, p. 16-19). Voir à ce sujet David Bellos, GPUVDLM, p. 253-257.

5 Perec évoque déjà ce « graphe » amical dans le texte 24 (« Contrescarpe, souvenir 1 »). Anne-Marie Le Gal : personne non identifiée.

6 Ce souvenir est déjà évoqué dans le texte 24, mais sans l’anecdote concernant Denise Péron, actrice française de théâtre et de cinéma alors pourtant très active et reconnue.

7 Voir le texte 11 (« Contrescarpe, réel 1 »).

8 Voir le texte 24 (« Contrescarpe, souvenir 1 »).

9 Personne non identifiée.

10 « Ici », c’est-à-dire au Moulin d’Andé, où ce texte est écrit et où se produisit effectivement le Living Theater, célèbre troupe de théâtre américaine active des années cinquante aux années soixante-dix, libertaire, communautaire et contre-culturelle ; « connerie végétaro-zénoïde » : néologisme péjoratif de Perec : végétarienne et d’inspiration vaguement zen.

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