16. Saint-Honoré, réel 1
Lieux
Août Mil neuf cent soixante-neuf
Jeudi 28 VIII MCMLXIX
Saint-Honoré
Venant de l’île Saint-Louis ; métro à Pont-Marie jusqu’à Palais-Royal ; à pied le long de la rue Saint-Honoré, sans rien écrire avant d’arriver au « Franco-Suisse ».
10 h sonnent au clocher de Saint-Roch.
En face (nos impairs) de gauche à droite :
Juste avant le coin de la rue ? : tabac (où j’ai acheté le bloc ou plutôt la pochette de correspondance dont je me suis servi)
puis : boulangerie-pâtisserie.
Au 201 : « La Porte Ouverte », mobilier, objets d’art, décoration (né pour la plus grande gloire du style (des styles) scandinaves, accentue maintenant ses côtés design).
Au 203 : « La Ferme Saint-Roch » ; pailles et poutres : charcuterie, fromagerie, épicerie de luxe.
Je suis rentré dans la cour du 203 ; blanchisserie au fond. Ascenseur (nouvellement ?) installé. Pas de plaque au nom de J. Tacheff (fourreur)1.
Au 205 : un livreur des « Fermiers Réunis » (il y a une crèmerie au bas du 205) met de l’ordre dans son camion. Les paniers d’acier porteurs de bouteilles vides ou pleines sont empilés sur trois hauteurs et maintenus par des chaînes finissant par des broches compliquées.
Au 205 :
« Maroquinerie Leobag »
« Laiterie Parisienne »
« À la Princesse Mary » (lingerie)
à l’étage : « Presti » (« la fermeture incoinçable, Richefeu »)
aux étages (plaques sur la porte) : « Cabinet Saint-Roch2 », « Foncière Saint-Honoré ».
Au 207 :
« Marcel d’Aya », savetier (au premier)
café « Le Cristal » au rez-de-chaussée
aux étages : « A. Bon », tailleur », ADAMI3, « Parange » ?
Au 209 :
l’ancienne Maison « E. Millien », aujourd’hui « Franquet », couleurs, brosserie, dont la devanture offre toujours d’énormes éponges, des moulins à poivre et des blaireaux.
Au 209 :
« Aux Tuileries » (papetier ?).
Puis un tailleur (?) actuellement masqué par une 204 au premier plan : la 204 est pleine de valises ou de ballots ou de fournitures ; y montent quelque chose comme une maman et sa fille, cette dernière au volant, son père (?) lui donnant un dernier conseil et lui recommandant de ne pas oublier de « lui téléphoner… », « à » ou « le sept » : sur cette phrase dont je n’ai entendu que les premiers mots : « tu me téléphoneras… sept », on peut imaginer plusieurs scénarios :
– départ en vacances : tu me téléphoneras dans sept jours
– voyage d’affaires : tu me téléphoneras le sept
– grosse livraison : tu me téléphoneras à 7 heures
– hold-up : appelle-moi dans 7 minutes
etc.
La 204 partie (vers quel destin ?)4 on peut voir que le magasin en question s’appelle « Joël… » quelque chose ; ça n’a pas l’air d’être un tailleur mais plutôt un marchand d’articles de Paris, ou un « décorateur » : cristaux, tables gigognes.
Hôtel « Saint-James et Albany »
Toutes les maisons ont été ravalées au rang de leurs façades5 depuis suffisamment longtemps pour que suies et fissures réapparaissent déjà.
II
Au coin de la rue du Vingt-Neuf Juillet
Café « La Coupe d’Or »
10 h 20
Au 215 :
Boulangerie-pâtisserie « Selandoux »
Teinturerie
« Société Générale » (nouvellement installé)
Au 217 :
Café « Five O’ Clock » (Pub… Tea… récent).
L’immeuble 217 semble appartenir à GIMBEL SAKS PURCHASING S.A.
Aussi : bureau de Femmes d’aujourd’hui 6.
(Entré dans la cour ; rien reconnu ; où étaient mes (ma) fenêtres7 ?)
Puis « Librairie Vendôme »
machines à calculer « Friden ».
Puis rue d’Alger.
Jonction :
Après « Saint-James et Albany » :
« Hermine Fourrures »
« Le Bouton d’Or » horlogerie
« Romand » parapluies (?)
Pharmacie « Saint-Honoré » (coin rue du 29 Juillet).
C’EST PAR PARTI PRIS ET PAR MANQUE DE TEMPS QUE JE NE ME SUIS OCCUPÉ QUE DES 2 + 1 PORTIONS SUSDITES, dont l’ensemble ne constitue qu’un minuscule fragment de la rue Saint-Honoré.
Et DU SEUL CÔTÉ IMPAIR8.
Nombreux cars de touristes.
Le temps se couvre.
Vers 10 h 30 (10 h 40 en passant devant Saint-Roch) : retour sur Palais-Royal pour un bus vers Saint-Lazare.
Vague intention de prendre une ou deux notes9.
J’oblique en fait (itinéraire plus normal) dans la rue des Pires-Amibes10 : autobus 29 ; je suis à Saint-Lazare à 11 heures.
1 C’est dans cet immeuble du 203 que Perec habita d’abord rue Saint-Honoré (voir le texte 5). Les deux derniers « souvenirs » de la rue Saint-Honoré explicitent cet intérêt pour le fourreur Tacheff, lié à un jeu de mots de Jacques Lederer (voir les textes 105 et 127). Perec écrit « Tachef » et « Tacheff » dans Lieux ; nous choisissons d’harmoniser à partir de la seconde orthographe, davantage attestée que la première.
2 Perec a écrit, probablement par erreur, « St-Roche ».
3 Il n’y a pas de point d’interrogation dans le document de prise de notes ; sans doute Perec exprime-t-il ici une difficulté de relecture (comme plus loin après « Romand parapluies (?) »). ADAMI : probablement l’Association de défense des artiste musiciens interprètes, fondée en 1955.
4 Tout le développement sur la 204 Peugeot (de « La 204 est pleine de valises… » jusqu’ici) ne se trouve pas dans le document de prise de notes.
5 « Au rang de leurs façades » : cette expression mal compréhensible est absente du texte de prise de notes, qui consigne plus simplement : « Toutes les maisons ont été ravalées depuis déjà suffisamment longtemps pour que suie et fissures réapparaissent déjà. »
6 Gimbel-Saks : chaîne américaine de grands magasins (les majuscules sont de Perec qui cherche probablement à reproduire ici l’inscription sur la façade) ; Gimbel-Saks Purchasing S.A. désigne la société mère de cette entreprise. Femmes d’aujourd’hui : magazine féminin hebdomadaire qui paraît depuis 1933.
7 Cet immeuble fut la seconde adresse de Perec rue Saint-Honoré (voir le texte 5).
8 Majuscules employées par Perec.
9 Var. prise de notes : « notations ? ou souvenir » biffé.
10 Calembour de Perec : rue des Pyramides (absent de la prise de notes).