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122Junot
124Assomption

123. Jussieu, souvenir 6

février 1975

Lieux
1975
Février
Jussieu
Souvenir

Dimanche 1er mars 1975 vers dix-huit heures
Souvenirs de la place Jussieu

Comment avoir des souvenirs de la place Jussieu, puisque la place Jussieu est devenue, ou plutôt redevenue, un endroit où je passe tous les jours1. Obligatoirement : que j’aille ou non à mon travail : à partir du moment où je sors de chez moi, il est quasiment impossible que je ne passe pas par la place Jussieu ; il est totalement impossible que je ne la voie pas.

Je ne fréquente quasiment plus les cafés de la place Jussieu, que je trouve encombrés, bruyants, chers et désagréables ; il m’arrive encore d’acheter mes cigarettes au tabac ; mais je le fais plus volontiers (maintenant que je ne fume presque plus jamais le matin et que l’absence de cigarettes le matin, par conséquent, ne me gêne pratiquement plus) au tabac en face de l’hôpital Saint-Antoine2.

Par contre, la pendule reste un repère que je consulte quotidiennement : c’est elle qui me donne l’heure exacte (mon réveil avance d’environ une demi-heure : je ne sais jamais, quand je sors de chez moi, quelle heure il est précisément)3.

Je ne regarde pas les titres à l’étalage du marchand de journaux près du métro.

Je vais parfois, le lundi surtout, acheter deux trois bricoles alimentaires à la « Laiterie Parisienne »4 (rue Linné, numéros impairs).

Je longe en général le trottoir impair de la rue Linné puis de la rue Jussieu, passant à côté des multiples marchands de crêpes, sandwichs et autres krapfen 5 et gaufres ; il est rarissime que je passe de l’autre côté (longeant la fac).

La place est en pente ; tout le monde le sait, évidemment, mais cela devient plus sensible quand on prend l’habitude d’y passer en vélo : agréable quand je pars de chez moi vers l’hôpital ; petite côte, pas vraiment dure, quand je reviens.

Que dire d’autre ? Jussieu endroit neutre, pas laid, utilitaire : le métro ; peu de souvenirs : rencontré par hasard Anne André (hasard à peine fortuit : A[nne] A[ndré] habite rue des Boulangers et passe par la place Jussieu cinq ou six fois par jour – comme moi, comme P[aulette], comme Lainé, etc.)6.

Peu d’événements ou de rencontres (un apprenti-dentiste, ami de Marie Noël ; Stella, qui vient fréquemment à Jussieu (fac) pour des séminaires, Bénabou qui y enseigne)7.

Je connais surtout de la place le versant Linné ; rare que j’en fasse le tour (ou alors en voiture, par exemple avec Gautier ou Drogoz, cherchant une place où se garer avant d’aller chez P[aulette] à l’époque où elle vivait rue des Boulangers).

Restaurants :

– Friterie8 plutôt dégueulasse ; y ai mangé une fois je ne sais plus pourquoi.

– « Le Buisson Ardent » : y mange très régulièrement, environ une fois par semaine ; y rencontre pas mal de copains dont Ruy Noguera, critique cinématographique, ex-ami des Martens, ami de Queysanne ; Crubs et son amie (son nom m’échappe, ah si : Brigitte Girodias), Poussin9, etc.

– « Les Savoyards », rue des Boulangers : très fréquenté pendant un certain temps (installation de P[aulette] rue des Boulangers ; beaucoup moins depuis : trop de monde, il faut attendre trop longtemps ; plus du tout depuis que je vis rue Linné).

– Le vietnamien de la rue des Boulangers, prôné par Jacques L[ederer] : y suis allé une fois ou deux.

– Le libanais en haut de la rue des Boulangers : y suis allé une fois avec Jo Attié10.

– Rue Linné : la pizza (en bas de chez moi) : mauvaise.

– Rue Linné : divers bouis-bouis sans intérêt aucun.

Cinéma : y en a pas.

Théâtre : y en a eu (« Le Lutèce » : j’y ai vu Zoo Story 11 et peut-être un autre spectacle, mais pas l’été).

What else ?

Libraire catho : je n’y suis jamais entré.

Marchand de journaux : plusieurs : j’y ai demandé l’Almanach Vermot (recommandé par Queneau) : personne ne l’avait (ils l’avaient eu mais l’avaient vendu).

Un magasin de mode où j’ai acheté une chemise à rayures roses et une paire de bottes en solde (je les aime beaucoup ; j’étais ce jour-là avec Denise, Pierre et Guyomard qui m’avait apporté sa toile L’Évêché d’Exeter ; nous avons mangé et beaucoup bu au « Buisson Ardent » ; le soir, je me suis fait arracher une dent par Nicole Doukhan – juillet 74)12.

NOTES

1 Depuis que Perec habite rue Linné, où il a emménagé le 31 mars 1974 (voir le texte 117, n. 9).

2 Perec parle sans doute ici du « Virginie » (voir le texte 11, n. 2).

3 Il existait, au coin de la place Jussieu et de la rue Linné, une pendule surmontant un mât de style Art déco portant également les signalisations de l’arrêt de bus. Les agendas-journaux tenus par Perec en 1974, 1975 et 1976 indiquent généralement, pour commencer une journée, l’heure du réveil, laquelle est extrêmement changeante en fonction de celle du coucher – et Perec n’étant alors tenu, au laboratoire de neurophysiologie où il travaillait, comme le montrent là encore ces agendas-journaux, à aucun horaire strict pourvu que le travail soit accompli.

4 Voir le texte 18, n. 16.

5 Également appelés « boules de Berlin », ce sont des beignets d’origine austro-allemande presque sphériques, généralement recouverts de sucre.

6 Pour Anne André, voir le texte 101, n. 4 ; pour Pascal Lainé, voir le texte 99, n. 1 et le texte 107, n. 8.

7 Pour Marie Noël, voir le texte 26, n. 34 ; pour Stella Baruk, voir le texte 57, n. 21 ; pour Marcel Bénabou à Jussieu, voir le texte 79, n. 10.

8 Voir le texte 38, n. 2.

9 Ruy Noguera : Rui Nogueira en fait (voir le texte 101, n. 8) ; Queysanne : sans nul doute Bernard, puisqu’il s’agit d’un ami dans les milieux du cinéma ; pour Jean-Pierre Poussin, voir le texte 101, n. 9.

10 Joseph ou Jo Attié : psychanalyste, scénariste et poète (voir également le texte 75, n. 12).

11 Voir le texte 101, n. 10.

12 Pierre et Denise Getzler ; Gérard Guyomard : ami peintre de Perec (qui apparaît sous son nom au chapitre vii de La Vie mode d’emploi, dans une anecdote authentique) ; Perec eut avec lui au moins un projet (voir « Entretien avec Gérard Guyomard : La 101e chambre », CGP 6, p. 204-206). L’Évêché d’Exeter est une toile de ce peintre inspirée par Les Revenentes qui fut offerte à Perec (on peut la voir chez lui sur une photo figurant dans le livre de David Bellos, GPUVDLM, n. p. – face à la p. 609). Dans son agenda-journal de 1974, Perec note à la date du 18 juillet : « Guyomard et les Getz m’amènent L’Évêché d’Exeter Déjeuner avec eux au “Buisson ardent” […]. 18 h 30 : chez Doukhan qui m’arrache ma dent » (FGP 43, 3, 116 v°). Pour l’épisode de l’arrachage de dent, voir le texte 109, n. 8.

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