100. Gaîté, réel 5
27.2.73
19 h 30
Gaîté réel
Venu de Ségur en métro (bondé), de Sèvres-Lecourbe à Gaîté1.
Au café (coin Gaîté-Edgar Quinet).
En face : lingerie layette ; au-dessus, un panneau (Affichage Parisien) avec deux affiches électorales du PCF (« Nous faisons confiance au PCF »).
À côté (au 2 ?) : horlogerie.
Puis charcuterie-cuisine, encore ouverte : la caissière bavarde avec une cliente blondasse, en noir ; le charcutier sert une jeune fille en blouson jaune.
Café peu fréquenté asteure2 : joueurs de tilt3 (sonnette aigrelette).
Dans la rue, apparemment peu de monde.
Canadiennes. Fourrures.
Une vieille vendeuse de France-Soir.
Les joueurs viennent de gagner une partie (« ploc » caractéristique) : hommes jeunes (2), en imperméable.
La cliente blonde de la charcuterie sort. Son grand chien l’attendait près de la porte.
Deux autres victoires4 au tilt.
Quatrième victoire (à la loterie, me semble-t-il5) mais il n’y a plus qu’un joueur, l’autre étant parti, pressé.
Des gens qui rentrent chez eux ?6 ou en ressortent ?
Serviettes sous le bras (sacs de sport, sacoches) ou bras ballants.
Dans la charcuterie, au fond, effets lumineux : panneau genre verre dépoli alternativement jaune, vert, bleu. Ampoules genre Noël.
Café infect : 1,35 F.
19 h 45
« Florida », en face de la rue du Maine. Au cinéma « Gaîté-Palace », on joue La Grande Vadrouille (de Funès, Bourvil, etc.)7. Puis : « Chemiserie française8 », et « Férel, chausseur », puis la rue du Maine.
Un peu avant, invisible d’ici, un nouveau (?) restaurant (à côté de la charcuterie), appelé « Vac Club » : menu Gargantua à 39 F.
Café vide, à l’exception d’un coin animé (rires). Deux tilts (« Now » et « Jungle ») vacants. De l’autre côté de la rue du Maine, « Radio Convention », « premier spécialiste Télé-couleur » (calicot).
Dans la rue du Maine : « Catherine », layette juniors.
Sur le même trottoir que le café (de l’autre côté de la petite impasse) : Boulanger, Glacier, Pâtissier, Salon de thé, « M. Avisse ».
« La Chemiserie française » : soldes et fins de séries.
Café devenu plus animé.
J’ai bu un Vichy (2,50 F).
20 h 10
Brasserie « Les Mousquetaires », avenue du Maine.
Une suze : 2,90 F.
Devant : chantier.
Au loin : immeuble neuf.
« Les Armes de Bretagne », transféré ; l’immeuble est toujours debout.
Sortie du métro, petit kiosque (provisoire ?) à journaux.
Rue de la Gaîté9 : au « Splendid » : Dr No ; au ciné rénové : Dernier tango à Paris ; à la « Gaîté-Montparnasse » : Un pape à New York, mise en scène Fagadau, avec, entre autres, Jean-Pierre Marielle ; à « Bobino », tout un programme (Jean Constantin entre autres)10.
Des magasins : couscous, deux, plus une sorte de snack à casse-croûte tunisiens et confiseries orientales ; « La Décothèque » : ameublement, tout-venant contemporain ; « Les Îles Marquises » ; « Les Mille Colonnes » ; à côté de « Bobino » : « Studio Europa Son ».
Tout cela de mémoire : la développer (jeu de kim urbain).
20 h 25 ?
« La Belle Po[lonaise] »
Vêtements (beaucoup). Nouveautés, Cuir, Natalys, Frigidaire, ex-« Monoprix », etc.
En face : pharmacie (ouverte) ; « Au Tajine » (couscous – au 18) ; « La Cage à Pulls » (enseigne arc-en-cielisée), coiffeur, « Bobino-Pressing ».
Ici, quelque chose comme ambiance des grands soirs11.
Au « Théâtre-Montparnasse », on joue Le Saut du lit 12.
Des gens dans les cafés alentour.
Au 14 : « Aux Galeries de la Gaîté » : crédit gratuit.
Brouhaha.
Non loin, un écrivain (?) a bu une bière, mangé un gruyère sur assiette, et va boire un déca. Il menace de ne pas signer son bon à tirer si Belfond ne lui paye pas ce qu’il lui doit ? A vu Don Juan ; va faire un papier sur Brigitte : « Adieu Brigitte ! »13.
Peut-être vont-ils à « Bobino » ?
Ça sonne à « Bobino », dit-on.
Travail loisir : j’ai pas arrêté depuis 9 h ce matin14.
Départs massifs, rires.
Bruits du tilt.
1 Ségur désigne ici par métonymie le lieu où réside alors Perec, avenue de Ségur (plutôt que la station de métro du même nom) ; Sèvres-Lecourbe et Gaîté sont les stations de métro de départ et d’arrivée qu’il emprunte, sur la ligne 6 pour se rendre rue de la Gaîté (ces précisions sont absentes du texte publié).
2 Voir le texte 11, n. 17.
3 Voir le texte 5, n. 12.
4 Var. texte publié : « parties gratuites ».
5 Au flipper, on peut gagner une partie gratuite soit par son score soit par la « loterie » (tirage au sort).
6 Pas de point d’interrogation dans le texte publié.
7 Film comique de Gérard Oury (1966).
8 Dans le texte 42 Perec note « Les Chemiseries françaises ».
9 Indication absente du texte publié ; à la place, la remarque ultérieure du manuscrit : « De mémoire (il faudrait la développer : jeu de Kim urbain). » Pour le kim, voir le texte 82, n. 5.
10 Dr No : il s’agit probablement du film d’espionnage James Bond contre Dr No de Terence Young (1962) ; Le Dernier Tango à Paris, film de Bernardo Bertolucci (1972) ; Un pape à New York, pièce de Jacques Sigurd (adaptée du texte de John Guare), mise en scène par Michel Fagadau ; Jean Constantin : auteur-compositeur et interprète de chansons françaises.
11 Var. texte publié : « Dans le café il y a quelque chose comme une ambiance des grands soirs. »
12 Pièce de Marcel Mithois (adaptée du texte de Ray Cooney et John Chapman), mise en scène par Jean Le Poulain.
13 Vraisemblablement Don Juan 73, film de Roger Vadim avec Brigitte Bardot. Var. texte publié : « Non loin de moi, un écrivain (?) ».
14 Cette ligne est absente du texte publié.