84. Franklin, réel 4
27 juin 72
Vers 16 h
Franklin réel
Venant de chez Dovidis (pour tenter enfin de produire Un homme qui dort) et de chez Artmédia (où j’ai pris 4 000 francs)1, assis sur un banc en face de l’immeuble Jours de France 2 en complète réfection : il ne reste de tout le bâtiment que le squelette extérieur ; une coulée de béton dont on va faire un escalier monumental ; toutes les fenêtres ont été enlevées.
À côté, le cinéma « Le Paris » est également en fermeture provisoire « pour cause de rénovation ».
Temps pas trop chaud, ciel gris, le fond de l’air est lourd.
Sur l’avenue, oriflammes françaises et tunisiennes (visite imminente de Bourguiba3).
Affiches devant l’immeuble Jours de France :
Coppertone : « une peau de cuivre et de miel »
Récital Claudio Arrau4 : Mozart, Beethoven, Schumann
Loterie nationale : Grand Prix de Paris 24 juin
Indien : « pour faire son tonic sur mesure »
Autre banc, sur le Rond-point (côté avenue Montaigne). Les six jets d’eau du Rond-point sont en marche. Circulation dense, grands drapeaux français et tunisiens. Parterre de fleurs, sortes de gros œillets
Couleur jaune :
des Volkswagen
des impers (cirés)
des sacs de magasin
les tentes des deux kiosques à journaux
le corps de ce Bic
Vert :
les autobus
l’herbe
une 2CV
une mini-cooper
une Méhari
Lie de vin :
deux hôtesses de l’air au pas cadencé (?)
Rouge :
drapeaux
fleurs
camion de livraison
« Courrèges » (Paris, New York, Londres, Tokyo, Zurich)
sens interdit
vert :
croix de pharmacie
jaune :
store en haut de l’immeuble « Publicis Franklin »5
rouge :
l’enseigne du métro
À côté de moi, une dame en manteau bleu clair lit un roman intitulé Porté disparu 6. Elle en est à la page 59.
Pigeons
Bruits :
crissement de pneus
les voitures
sifflets
klaxons rares
fermeture des portes d’autobus (bruits pneumatiques d’air comprimé) – peut-être freinage ?
faibles cris de pigeons (genre de crouic)
voix (allemand ?)
Sur des piquets encore vierges de drapeaux (juste devant moi), on vient en installer (la maison « Belloir », décorateur, 20 rue de la Salpêtrière, Paris 13e)7.
Support du manuscrit du texte 84.
Première page du manuscrit du texte 84.
1 Dovidis : voir le texte 75, n. 15 ; Artmedia : agence artistique pour le cinéma où Jean-Louis Livi occupait des fonctions importantes (à son propos, voir le texte 75, n. 14, et le texte 97).
2 Voir le texte 20, n. 3.
3 Habib Bourguiba, président de la république tunisienne de 1957 à 1987.
4 Pianiste chilien.
5 Il s’agit du « Drugstore Publicis Matignon ».
6 De nombreux livres (des romans mais aussi des témoignages) portent ce titre et il est difficile, en l’absence de précisions supplémentaires, de dire duquel il pourrait ici s’agir.
7 S’il y a bien une maison « Belloir » (fondée au début du xixe siècle et spécialisée dans la décoration pour des manifestations publiques), curieusement il ne semble pas exister à Paris de rue de la Salpêtrière. Pour un autre exemple de rue inexistante dans Lieux, voir le texte 75, n. 13.