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98Franklin
100Gaîté

99. Gaîté, souvenir 5

février 1974

Février 1974
Lieux
Souvenirs de la rue de la Gaîté
N° 99

(fait le 23 novembre 1974)

Je renonce à énumérer les raisons qui m’ont fait accumuler un tel retard que le projet tout entier s’en trouve menacé ; plutôt que de nouveau sauter une année entière, je préfère rattraper arbitrairement (de toute façon, il n’y a rien de vraiment scientifique dans ce travail).

Rue de la Gaîté : je me demande même si j’y suis passé une fois cette année ; il m’est arrivé à plusieurs reprises d’aller à Montparnasse ; la dernière fois, la semaine dernière, lundi, entre l’exposé à l’ESA et la réunion ratée de Cause commune sur « Nomades et vagabonds » (avant d’aller boire un verre chez Gallimard pour Lainé qui vient d’avoir le Goncourt)1, j’ai mangé une paire de saucisses frites au « Dôme » en écrivant quelques « Je me souviens ».

J’ai également été plusieurs fois à « La Coupole », à la fin de l’année dernière, au moment où l’on enregistrait avec Ludmila (un soir j’y ai rencontré Kate et Richard) et une ou deux fois cette année2.

Peut-être même au « Rosebud ».

Mais rue de la Gaîté ?

Jacques L[ederer] ne vit plus dans le coin, Michèle Deissart3 a quitté Paris pour Tunis (où je ne suis même pas allé la voir) ; je vais rarement voir Bénabou ou les Queysanne4 et en ce cas ce n’est presque jamais par la rue de la Gaîté que je passe ; quant au théâtre, je n’y vais jamais.

Quels sont mes anciens souvenirs de la rue de la Gaîté ?

M’y être promené avec Jacques Lederer (il habitait alors avenue du Maine) ; j’aimais le petit cinéma au fond de l’impasse (lui n’a pas tellement changé, mais l’autre si, celui du bout de la rue) ; le troisième (au début de la rue) n’a pas changé non plus ; le cinéma de la rue d’Odessa est maintenant devenu un complexe (cinq salles je crois : n’y suis jamais allé).

Théâtre : j’ai vu un Richard III (?) monté par Planchon ; j’ai même rencontré Paulette (avec Fezzani ?) à la sortie : nous n’avions pas aimé le pseudi-brechtisme : scène muette avec les moinillons5.

Cafés : « la Belle Po(lonaise) » : pot avec les acteurs de L’Augmentation ; avec J[ean]-F[rançois] Adam, Dubillard et quelques autres (Jacques Seiler ?) après des sketches de Dubillard à minuit6.

Restaurants : un couscous : dîner avec J[acques] L[ederer], Mireille7 et une amie hongroise des Lederer (ne parlait pas un mot de français).

« Les Mille Colonnes » (avec les Drogoz : brr…).

« Les Îles Marquises » (dont J[acques] L[ederer] fait grand cas).

La « Pizza Cotti » (rue d’Odessa) qui fut presque un restaurant de luxe pour moi (brr).

Souvenirs plus récents ? Y avoir marché avec Michèle8 (je crois que ça s’écrit avec un seul « l »).

Une fois, P[aulette] a fait un voyage en couchette avec pour compagne de compartiment une femme qui a un magasin de chaussures rue de la Gaîté – mais elle n’y est jamais allée.

Il y avait un libraire d’occasion, mais je crois qu’il a disparu.

Il y a beaucoup de magasins nouveaux, qui se créent puis qui disparaissent très vite.

Il y avait une espèce de Prisunic où je crois que la mère de Jacques (elle s’appelle Madeleine) a été caissière, il y a sans doute une bonne quinzaine d’années.

Non loin de la rue de la Gaîté, il y a une rue « du Maine » où il y a un restaurant fréquenté par les acteurs (il s’appelle « Chez Maria ») : j’y ai dîné plusieurs fois avec J[ean]-F[rançois] Adam, une autre fois avec Jean Grobla (que je revoyais pour la première fois depuis x ans et que je n’ai pas revu depuis en dépit de toutes les protestations d’amitié que nous nous faisons à chacune de ces rencontres) ; j’y ai rencontré J[ean]-P[ierre] Sergent (que je vois aussi très rarement) et aussi Benayoum et Richard Leduc (que je ne connaissais pas encore)9.

Peu de raisons d’aller à Montparnasse ; peu de raisons d’aller nulle part, d’ailleurs.

Au bout de l’avenue du Maine : Alésia (puis la Tombe-Issoire et la Villa Seurat), la Villa Seurat, où vivaient Miller, Anaïs Nin, et dans leur maison Alberto (j’ai oublié son nom : cuisinier sculpteur argentin et andéen) ; où vit Simone Lurçat (je l’ai appris hier soir) et, évidemment, De M’Uzan (il n’y vit pas, mais y reçoit encore ses clients ; telle, bientôt, Barbara)10.

Alésia : j’y ai dîné avec Gautier il y a quelques mois avant d’aller jouer aux échecs chez Zaoui (qui vit dans un appartement assez comparable au mien – plus grand, le sien) avec Vincent (avons récidivé quelque temps plus tard, chez Gautier, après avoir dîné au « Pied de Fouet » ; en plus des joueurs ci-dessus, il y avait Barbara)11.

Nous n’avons pas tourné rue de la Gaîté, mais tout près : avenue Edgar-Quinet (arbres, arbres noirs, très noirs, Spiesser courant, la Tour en fond derrière des feuillages qui défilent, un homme qui balade son chien)12.

Il y a aussi « Bobino » ; je crois ne pas y être allé depuis, depuis quand ? Je crois que c’était Brassens, peut-être en 56 ou 57, avec Paulette et un Tunisien dont le nom m’échappe, fanatique de music-hall : il est devenu neurochirurgien ou psychiatre, c’était l’ami de Tironneau ; il y a des années et des années que je ne l’ai pas revu (Nour a gardé quelques contacts avec lui je crois)13.

NOTES

1 ESA : l’École spéciale d’architecture située boulevard Raspail et que Paul Virilio dirige de 1972 à 1975 (Perec note dans son agenda-journal de 1974, au lundi 18 novembre à 14 h : « Entretien avec des élèves de Virilio à l’ESA » – FGP 43, 3, 180 r°). La réunion pour Cause commune citée ensuite s’était également tenue à l’ESA à 18 h, toujours selon l’agenda-journal de Perec. En 1974, Denoël arrête la publication de la revue, entraînant la parution d’une lettre accusatrice de Perec, Duvignaud et Virilio dans Le Monde – voir ECTRI, p. 891-892 ; l’éditeur Christian Bourgois l’accueille alors dans sa collection « 10/18 », mais pour des volumes thématiques ; Nomades et Vagabonds paraîtra dans ce contexte en 1975 et Perec n’y publiera aucun texte. Pascal Lainé, qui faisait partie du comité éditorial de Cause commune obtint le prix Goncourt 1974 pour La Dentellière

2 Ludmila Mikaël, qui est la voix off dans le film Un homme qui dort. Kate Manheim, actrice franco-américaine, fut d’abord la compagne de Jean-Pierre Sergent (voir le texte 14, n. 10), et enquêteuse en psychosociologie, comme Perec et nombre de ses amis d’alors ; de retour aux États-Unis en 1969, elle y devint quelques années plus tard la compagne de Richard Foreman, metteur en scène d’avant-garde, et, à partir de 1973, l’actrice vedette de sa troupe, l’Ontological Hysteric Theater. Perec tomba amoureux d’elle et c’est en grande partie pour la revoir qu’il fit un voyage aux États-Unis en 1972 puis un autre en 1975 ; de 1973 à 1981, ils eurent cependant une « relation mouvementée » selon les mots mêmes de Kate Manheim (voir à ce sujet Jean-Jacques Thomas, Perec en Amérique, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, 2019, p. 111-127 et 127-131).

3 Personne non identifiée.

4 Qui habitent alors non loin (voir le texte 77).

5 Voir le texte 12, n. 10.

6 Il s’agit probablement du spectacle Le Gobe-douille constitué de sketches de Roland Dubillard, Guy Foissy, Christopher Frank et Jean-Claude Grumberg, mis en scène et joué par Jacques Seiler (qui a souvent joué dans des spectacles de Dubillard) ; voir également le texte 121.

7 Mireille Archinard, l’épouse de Jacques Lederer. Pour l’amie hongroise mentionnée ensuite, voir le texte 121, n. 5.

8 Peut-être Michèle Losserand (voir le texte 97, n. 18) – ou alors la Michèle Deissart mentionnée plus haut.

9 Jean Grobla : voir le texte 24, n. 3 ; Jean-Pierre Sergent : voir le texte 14, n. 10 ; Robert Benayoun et Richard Leduc : voir le texte 61, n. 5. Ce restaurant est appelé « Maria » par Perec dans le texte 61.

10 Henry Miller et Anaïs Nin, écrivains américains ; Alberto Carlisky : voir le texte 14, n. 15 ; voir aussi le texte 95, n. 13 ; Simone Lurçat : l’épouse du tapissier Jean Lurçat ; Barbara : probablement Barbara Keseljevic : voir le texte 26, n. 34 – comme le révèlent ses agendas-journaux de 1974 et 1975, Perec entretient alors avec elle une relation amoureuse (cependant non exclusive) qui ne cessera qu’au moment de la liaison avec Catherine Binet.

11 Henry Gautier, Jean Vincent et Daniel Zaoui travaillent alors tous trois au laboratoire de neurophysiologie du CHU Saint-Antoine où Perec est documentaliste. Daniel Zaoui habitait rue Jean-Moulin, effectivement près d’Alésia ; Henry Gautier habitait rue de Babylone, au-dessus du restaurant « Le Pied de Fouet ». Dans son agenda-journal de l’année 1974, Perec note la première soirée au 9 août et la seconde au 27 septembre (FGP 43, 3, 128 r° et 43, 3, 153 r°).

12 L’avenue Edgar-Quinet est en fait un boulevard, comme Perec le précise bien dans le texte 121. Perec évoque ici le tournage du film Un homme qui dort dont Jacques Spiesser est l’acteur principal ; la tour Montparnasse.

13 Le Tunisien en question est Moncef Loussaief (déjà mentionné dans les textes 17 et 89) qui devint psychiatre en Tunisie et se maria avec Colette Tironneau.

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