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79Jussieu
81Assomption

80. Saint-Honoré, réel 4

avril 1972

Dimanche 14 mai 1972

Sorti de la rue de Seine avec J[acqueline] A[ncelot] vers 13 h ; descendu la rue de Seine : presque en bas, affiche de protestation du Front des artistes plasticiens contre « L’Expo Pompidou » (Grand Palais : « 72 Artistes contemporains ») : les œuvres ont été sélectionnées par Mathey, Jean Clair et quelques autres. Un certain nombre d’invités ont refusé1.

Traversée de la passerelle des Arts. J[acqueline] et moi nous séparons au milieu de la Cour du Louvre.

Rue de Rivoli Palais-Royal

Au musée des Arts décoratifs, expo Objets introuvables de Carelman2 (l’autre, quelque chose comme Rouge Bleu Blanc Jaune ?).

Cela a l’air d’un jour de fête, rues presque vides, déjà des cars à touristes. La plupart des promeneurs ou des consommateurs attablés (rue la Régence3) ressemblent à des étrangers un peu perdus, remplis de suspicion.

Dans la rue Saint-Honoré, plusieurs magasins nouveaux me semble-t-il, dont un de moquettes, un sauna (côté pair) ; une petite boutique de gadgets a disparu, une autre s’est créée juste à côté.

La statue de Jeanne d’Arc est entourée de grands drapeaux tricolores et de couronnes de fleurs (sainte Jeanne d’Arc ? visite de la reine Elizabeth ?).

Grande nouveauté : des parcmètres4 mais seulement sur le côté impair. Festival Jean-Sébastien Bach annoncé pour le 16 mai à Saint-Roch. Repère devant le marchand de disques au début de la rue (je veux dire tout près de la place du Palais-Royal) des Messes de William Byrd par le Dellert Consort.

Assis à l’extérieur du « Tea Room » en face de la « Brasserie des Tuileries ». De longs moments sans la moindre voiture. Un double express au lait froid et deux pains au lait. Deux heures sonnent au clocher de Saint-Roch.

On entend parler espagnol, anglais. L’idéal aurait été de noter (cette fois-ci ?) chaque magasin. Un tout petit peu trop froid pour.

Vers la place Vendôme et au-delà, les magasins deviennent de plus en plus luxueux : maroquiniers, tableaux, antiquaires, chemisier, parfums, etc.

À la hauteur de la petite place Maurice-Barrès, j’oblique dans la rue Duphot en direction de la Madeleine. « Prunier » fermé ; manège Duphot : impasse en rotonde, très belle5.

14 h 30 peut-être un peu plus

Métro Madeleine : Nord-Sud. Direction Porte de la Chapelle (les voitures ne sont plus comme celles d’avant).

Station Saint-Lazare en travaux

Trinité : « Pendant ce temps-là ça mijote… » ; « Et si le vers n’existait plus !… »

Notre-Dame-de-Lorette : « Branca Menthe » (la très sauvage… ?) ; « Pour vous l’allemand c’est du chinois ? oui… alors Berlitz »

Saint-Georges ? : « Pernod, pastis, anisette 51 »

Pigalle : « Papier toilette plus doux plus résistant Lotus » ; « Hollande Gouda »

Abbesses : « Belga la blonde » ; « Branca Menthe, la très secrète, très sauvage et puissante ! »6

 

14 h 50 métro Lamarck

Rue de la Fontaine-du-But (les escaliers)

En bas de la rue, sur le petit square, travaux de modernisation de l’ascenseur du métro (agrandissement de la machinerie. Création d’une ventilation).

Passent des cars de touristes : Paris-Vision, un allemand. Marronniers très feuillus. De nombreuses affiches en arabe (soutien aux travailleurs immigrés de Peñarroya7). Statue d’Eugène Carrière (1849-1906) ; des pigeons sur sa tête.

Numéros pairs

« CIC »
« Pharmacie centrale »
Coiffeur ? changement de propriétaire
« Au Fil d’Ariane » librairie-papeterie
« Horlogerie suisse »
N°40 CIC encore ?
38 teinturerie

 

 

impairs

« Laverie Junot » (au coin)
Quelque chose comme de grands ateliers déserts
Maisons 1930
N° 36, 36 bis, 36 ter, formes géométriques
41 Bar grill « La Table Ronde »
30 34 Ateliers

 

Rue Juste-Métivier : escaliers ; échappée sur banlieues (cheminées d’usine)

 

Rue Simon-Dereure

Clinique chirurgicale
26 Très bel atelier

 

Une fois n’est pas coutume, montons jusqu’à Montmartre.

Villa Léandre (impasse)

Très charmants pavillons
Arbres, jardins, ateliers
13 Ici vécut Poulbot8
11 Hameau des Artistes (pavillons)

 

Le Jardin de Montmartre se loue

Rue Norvins

Campagne

Tout à coup à partir de la rue Jean-Baptiste-Clément cela devient très encombré, « pittoresque » et hideux.

Foule sur le parvis du Sacré-Cœur. Paris se hérisse de buildings : hauteur insoupçonnée de la tour Maine-Montparnasse.

Brume

Place Saint-Pierre : passage au xixe, ses jardinets. Hommage aux Cuvelier qui y vécurent.

Un chat noir en théière devant une porte.

Rue de Steinkerque

Métro Anvers

Rue de Dunkerque

Rue Rochechouart

Arrêt chez Marcel (dont c’est l’anniversaire) et Thérèse9

je bois un J et B10

j’appelle Bruno Gillet11 et P[aulette]

Je repars vers 16 h 30

Rue Rochechouart

Rue de Maubeuge

Rue du Faubourg-Montmartre

Passage Verdeau

Librairies

Flaubert en anglais (éd. Bouvard12) 10 volumes 50 F

Jean Racine (« Grands Écrivains Hachette ») 7 volumes 120 F13

Harmsworth Encyclopédie 8 volumes 60 F14

Passage Jouffroy

Flaubert Œuvres II 135 F

Courteline 815 250 F (br.)

Larousse XX (1941)16 6 volumes 375 F

Passage des Panoramas

Rue Saint-Marc

d’où l’on rejoint la rue Montmartre

J’ai souvent rêvassé devant des immeubles ou des petites annonces17

Église Saint-Eustache

Travaux des Halles

Rue Baltard

Bruine

Rue des Halles

Châtelet

Quai de Gesvres (rien chez l’unique bouquiniste ouvert)

Pont Notre-Dame

Rue de la Bûcherie… Boulangers

 

Consignation d’itinéraire conservée dans les archives de G. Perec.

 

Après-midi

Longue dérive :

Avenue de l’Opéra
Grands Boulevards
Librairies du passage des Panoramas
Boulevard Sébastopol
Hôtel de Ville
N[otre]-D[ame]

r[ue] des Boulangers

FM : « Tétralogie » : Crépuscule

Dîner rapide avec Jacques [Lederer]

Puis chez Agnès et Bernard [Queysanne]

NOTES

1 Il s’agit de l’« Expo 60-72 » officiellement nommée « Douze ans d’art contemporain en France : 1960-1972 » qui eut lieu de mai à septembre 1972 au Grand Palais ; voulue expressément par Georges Pompidou, alors président de la république, elle donna lieu à divers incidents lors de son ouverture (certains artistes manifestant contre ce qu’ils estimaient être une récupération politique, puis d’autres retirant leurs œuvres) et fut d’ailleurs ensuite fermée plus d’une semaine avant de rouvrir. François Mathey, conservateur de musée (et notamment créateur du Centre de création industrielle de Beaubourg), en était le commissaire général et l’historien de l’art Jean Clair (pseudonyme de Gérard Régnier, qui fut proche de La Ligne Générale – voir le texte 24, n. 3) faisait partie de ses assistants pour cette exposition. Perec semble composer la presque fin de ce paragraphe avec des éléments prélevés sur l’affiche.

2 Jacques Carelman, peintre, illustrateur et dessinateur, fondateur de l’Oupeinpo (Ouvroir de peinture potentielle), notamment auteur d’un célèbre Catalogue d’objets introuvables ; l’exposition « Objets introuvables » eut lieu au musée des Arts décoratifs du 27 avril au 12 juin 1972.

3 Il n’existe pas de rue la Régence ou de la Régence à Paris ; Perec veut sans doute parler du « Café de la Régence » (qui est cité dans le texte suivant), rue Saint-Honoré, à proximité immédiate du musée des Arts décoratifs.

4 Perec écrit « parks mètres » : c’est effectivement alors encore une nouveauté.

5 « Prunier » : célèbre restaurant de la rue Duphot ; manège Duphot : cour circulaire sur l’emplacement d’un ancien manège d’équitation dans la rue du même nom.

6 Perec note ici les publicités aperçues à chaque station de métro de son parcours, de Madeleine à Lamarck-Caulaincourt, sur la ligne 12 ; la station Trinité a pour nom complet Trinité-d’Estienne-d’Orves et Saint-Georges est bien le nom d’une station ; la Branca Menthe est une liqueur italienne composée d’amer Fernet-Branca et d’alcool de menthe poivrée ; Berlitz est une société d’origine américaine spécialisée dans l’apprentissage par correspondance des langues étrangères ; Belga est ici une marque de cigarettes, belge comme son nom l’indique.

7 Peñarroya : société minière et métallurgique française dont les activités furent d’abord localisées en Espagne avant de s’internationaliser. En 1971 et 1972, de nombreuses grèves s’y déclenchèrent tout particulièrement autour de problèmes et de questions sanitaires.

8 Francisque Poulbot : dessinateur et illustrateur, dont les dessins de gamins des rues de Paris ont donné naissance au terme « poulbot » pour les désigner à Montmartre.

9 Marcel Cuvelier et Thérèse Quentin.

10 J. and B. : marque de whisky.

11 Bruno Gillet : musicien avec qui Perec collabora en 1971 pour un opéra de chambre, Diminuendo, dont il écrivit le livret (la pièce fut notamment diffusée dans AudioPerec le 5 mars 1972, une émission composée par Perec et réalisée par Janine Antoine et René Farabet pour l’Atelier de création radiophonique d’Alain Trutat à France Culture ; à propos de la collaboration de Perec avec Trutat et cet Atelier, voir le texte 81, n. 2).

12 Transcription non garantie ; ce peut être aussi Bouverd. Cette note de Perec est assez énigmatique ou imprécise ; elle donne à penser à une édition d’œuvres complètes en anglais publiée par Bouvard ou Bouverd ; mais aucun éditeur de ce nom ne semble exister ni avoir existé dans l’espace anglophone et le site du Centre Flaubert de l’université de Rouen qui répertorie les traductions de l’écrivain ne signale pas d’éditeur de ce nom ni même d’édition d’œuvres complètes en anglais (en tout cas antérieure à 1972). Peut-être faut-il alors comprendre que Perec remarque une édition de Bouvard [et Pécuchet] en anglais ; mais alors comment comprendre « 10 volumes » ? Que le livre fait partie d’une édition en dix volumes ? Qu’il s’agit d’un lot de dix volumes de la même édition du roman ? Dans ce dernier cas, il ne pourrait vraisemblablement s’agir (toujours selon le site du Centre Flaubert) que de l’édition suivante : Bouvard and Pécuchet, trad. T. W. Earp et G. W. Stonier, préface de Lionel Trilling, Norfolk, Conn., New Directions, 1954.

13 Il s’agit d’une édition d’œuvres complètes dont le premier tirage parut en 1865 : Œuvres complètes de Jean Racine, dans la collection mentionnée par Perec, effectivement en sept tomes.

14 The Harmsworth’s Universal Encyclopaedia (L’Encyclopédie universelle de Harmsworth) est une encyclopédie populaire qui fut publiée par fascicules ensuite reliables à partir des années vingt en Angleterre par la maison d’édition The Education Book Company.

15 Sans doute le huitième tome d’œuvres complètes ou bien les huit tomes ensemble ; br. : broché.

16 Il s’agit du Grand Larousse du xxe siècle (voir le texte 22, n. 3).

17 Phrase ajoutée au verso de la onzième feuille (voir le chapeau introductif de ce texte).

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