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74Gaîté
76Junot

75. Franklin, souvenir 4

février 1972

Blévy1
Vendredi 31.3.72
15 h 30

Il me semble que le Marché aux timbres existe toujours et qu’il y a quelques années je suis passé au rond-point des Champs-Élysées un jour où il se tenait. Il me semble aussi que j’ai mis un certain temps avant de comprendre de quoi il s’agissait et de m’en souvenir. Or il doit être évident que, même après ma fugue, j’ai dû continuer pendant un certain temps à le fréquenter. Pas très longtemps sans doute, car je me suis assez vite arrêté de collectionner les timbres et ma collection, tenue sous clé par ma tante, a ensuite été donnée à l’une de mes nièces (à Marianne2 je pense), peut-être parce que ma tante avait peur que je ne récidive, plus sûrement parce que je suis alors parti à Étampes, début d’une toute nouvelle organisation de ma vie. Je n’étais plus le jeudi à Paris et longtemps j’ai cru que le Marché aux timbres se tenait seulement le jeudi alors qu’en fait le jeudi c’était un mini-marché, le véritable se tenant le dimanche.

Ce qu’il faudrait que je parvienne à préciser, c’est l’importance que ce lieu avait : pourquoi l’ai-je choisi comme unique pôle lors de ma fugue au point de ne jamais m’en écarter de plus de quelques mètres, sauf pour aller (en métro) dans le parc de Saint-Cloud construire une cabane (choisir un emplacement en vue d’une construction ultérieure… – pourquoi d’ailleurs le parc de Saint-Cloud ? quand donc y étais-je allé ? Il devait avoir pour moi un aspect sauvage que le bois de Boulogne n’avait certainement pas). Les deux lieux étaient également mythiques : le bois pour la vie sauvage, le Marché aux timbres pour la survie : l’idée de base était de vendre de quoi vivre quelques jours. Plutôt que l’idée de base, l’idée rationnelle ; l’idée de base (réelle) était d’aller dans le seul endroit où je serais sûr que l’on viendrait me chercher : c’était le seul endroit où l’on savait que je pouvais aller (L[ili] y est d’ailleurs passée dans l’après-midi mais sans doute pendant que j’étais dans le bois de Saint-Cloud).

Franklin
Souvenir
Février 1972
(en fait le dimanche 16.4.72)

Commencé à Blévy, interrompu par je ne sais quoi.

Repris maintenant après une nuit de h3 s’évanesçant

(mais encore dans quelque chose comme un état second)

Rôle particulier des Champs-Élysées.

Premières images d’une vie luxueuse : j’y fus invité à assister à un défilé du 11 novembre, de la terrasse (ou plutôt balcon) de l’appartement parisien d’un nommé Aleriza (?) cheikh de Bahreïn (?) avec qui mon oncle était depuis des années en relation d’affaires (il envoyait des caisses de mangues chaque année) : plusieurs femmes entouraient le potentat et le gavaient (et moi aussi) de sucreries et chocolats4

But de promenade : avec Michel Rigout, tous les samedis soir, même lorsque j’étais pensionnaire à Étampes, nous allions à pied (parfois plusieurs fois !) de la rue de l’Assomption à l’Étoile en passant par la rue de Boulainvilliers, la rue de Passy, le Trocadéro, l’avenue Kléber. Nous nous arrêtions au Lido pour boire un café liégeois (le premier café liégeois que je bus me fut offert par ma cousine L[ili] alors qu’elle travaillait rue Lafayette avec son père5 : ce devait encore être des nourritures un peu rares à l’époque).

Les cinémas : comme spectateur, peu souvent (trop cher ?) : West Side Story 6 bien sûr ; de temps à autre des westerns ou des Preminger (?) ; le dernier : Les diamants sont éternels (très con) un soir après avoir travaillé avec J[ean]-F[rançois] A[dam], très crevé, et dîné chez D[ominique] P[aul]–B[oncour]7.

Salles de projections (privées) : agréable, on peut fumer, les copies sont neuves, de la place pour les jambes, sentiment de participer à l’élaboration de quelque chose (s’en méfier) : un film de Donen8 (pour avoir rencontré par razard Rappeneau devant la salle avec Mireille de Lesseps et ?)9 ; ensuite nous sommes allés manger des très bons sandwichs (genre pickle fleish10) dans un snack. Oublié le nom de la rue.

Le film de Stacha (Mémoires d’un suicidé) : beaucoup plus récent11. Peut-être un ou deux autres (tout en haut, au « Publicis », Jupiter), puis Poupées qu’on les appelle 12 (la mémoire fonctionne toute seule, impression d’une machine très bien huilée, c’est l’écriture qui est en retard, comme un computeur qui va beaucoup plus vite que ce qui sort du télescripteur).

Le cinéma, petit c : comme « producteur » (scénariste, auteur, etc.). I. Bonnafond, rue d’Albano, pour Les Choses 13 ; Livi, rue Marbeuf, et Strauss, sur les Champs-Élysées, pour Des oiseaux dans la nuit 14 ; bientôt (peut-être) Dovidis15 pour Un homme qui dort (ou les autres projets en attente ou en sommeil).

Ami, ayant vécu sur les Champs-Élysées : Roger Kleman, quelque temps, dans l’immeuble du « Lido » (un ancien hôtel, « Claridge » ou « Carlton »), filles du « Crazy Horse » dans l’ascenseur (ou filles du « Lido », plus simplement)16.

Ami habitant près des Champs-Élysées : Koupernik, avenue Montaigne : le dîner avec Michaux17… un autre, une autre fois, avec Condo18 et ?

Franklin-Roosevelt.

Le Palais de la Découverte : le planétarium, la salle du nombre pi.

Grand et Petit Palais : les musées : les symbolistes et surréalistes belges (avec Sylvia19, juste avant Pâques).

Restaurants sur les Champs-Élysées : un tout en haut, immense, pas si cher, illusion d’un bon (en fait ?).

« Le Fouquet’s » : un pot avec Memmi20 au sortir d’une réception assez ultrachiante à l’ambassade de Palestine occupée (fin 65, mon époque un peu vraiment trop con pour me laisser aller dans des endroits si contraires à mon état d’esprit).

« Drugstore »21 : une glace, une fois, pas assez de place, plein de cons vraiment.

Rencontre, par hasard, devant « Publicis », de René Victor Pilhes (il travaille ou en tout cas travaillait là)22.

Magasin « Weston »23. Jamais entré.

Magasin « Lévitan », entré une fois avec S[uzanne] (aussi une histoire de Matra avec Maurice P[ons] ????? 24).

Y ai traîné il y a quelques jours, sur les Champs-Élysées ; suis entré dans ces nouveaux complexes en rez-de-chaussée ou en sous-sol ; très fort exotisme : musique marbre lumières escaliers mécaniques.

Autres lieux : le « Blue Note », un restaurant russe (hors de prix) où je suis allé un soir dîner avec S[uzanne] (un des derniers soirs).

Le cinéma « Le Marigny » (des comédies musicales, avec Christine, avec Stella25 ; un pot au « Drugstore Matignon »).

Espace Cardin connais pas.

NOTES

1 Voir le texte 37, n. 8.

2 Marianne Lamblin-Saluden qui, à proprement parler, n’est pas la nièce mais la petite-cousine de Perec ; néanmoins, ce dernier considérait sa mère, Bianca Lamblin, comme sa sœur, d’où l’emploi spontané de ce qualificatif de « nièce ».

3 De haschisch.

4 Il s’agit d’Ali Reza, partenaire à Bahreïn de David Bienenfeld. Cheikh, ou Sheikh, est un titre arabe qui se décerne à un homme sage et n’implique pas forcément d’être dirigeant ni d’appartenir à une famille régnante.

5 Où se trouve le siège de la JBSA (Jacques Bienenfeld Société Anonyme) et où travaillent donc alors ensemble David Bienenfeld et sa fille Ela (Lili).

6 Film musical de Jerome Robbins et Robert Wise (1961).

7 Des Preminger : des films du réalisateur américain Otto Preminger ; Les diamants sont éternels, film d’espionnage de la série des James Bond, de Guy Hamilton (1971) ; pour le travail avec Jean-François Adam, il s’agit probablement du scénario des Oiseaux de la nuit – voir le texte 51, n. 1, et le texte 71, n. 2.

8 Stanley Donen, réalisateur américain. Selon Jean-Paul Rappeneau « [Perec] aimait aussi Stanley Donen. Il y a une scène de Fantasmes, de Donen, qui le faisait hurler de rire, où une vingtaine de religieuses en cornettes, pour se détendre, font du trampoline… » (Cécile de Bary, « Réduire le gap. Entretien avec Jean-Paul Rappeneau », CGP 9, p. 179).

9 Mireille de Lesseps : en fait Marielle de Lesseps, amie cinéphile de Jean-Paul Rappeneau – selon qui la salle de projection privée dont parle ici Perec s’appelait la salle « Ponthieu », dans la rue du même nom.

10 Poitrine de bœuf en saumure, recette de cuisine juive.

11 Le Journal d’un suicidé : film expérimental de Stacha (ou Stanislav Stanojević (1971))– à son propos, voir le texte 24, n. 21, et le texte 97. Perec voit ce film le 21 mars 1972 (noté dans son agenda pour cette année-là – FGP 18, 2, 43 r°).

12 Jupiter : film de Jean-Pierre Prévost tourné en partie au Moulin d’Andé en 1970 mais jamais sorti en salle et où Perec apparaît jouant son propre rôle (de nombreux autres amis du cinéaste y apparaissant également, dont Maurice Pons ou Robert Pinget par exemple) ; Perec visionne ce film, peut-être à l’occasion d’une projection privée, au cinéma « Publicis » situé juste à côté du « Drugstore » du même nom. Poupées qu’on les appelle : film expérimental de Robert Cahen, Jean-Pierre Saire et Jo Attié (1972).

13 Il s’agit probablement plutôt de Max Bonnafont, producteur qui avait accepté de financer le tournage des Choses projeté par Perec avec Jean Michaud-Mailland et Raymond Bellour. Par ailleurs, il n’existe pas de rue d’Albano à Paris (Perec confond peut-êre avec la rue de l’Alboni, citée dans le texte 78) – voir également le texte 84, n. 7.

14 Des oiseaux dans la nuit : le titre était apparemment plutôt Les Oiseaux de la nuit (voir supra, n. 7) ; Jean-Louis Livi, agent artistique et producteur (voir le texte 97) ; pour Jacques-Éric Strauss, également producteur, voir le texte 71, n. 2.

15 Société de production de films qui coproduisit effectivement en 1973-1974 Un homme qui dort avec la SATPEC, société anonyme nationale tunisienne de production et d’expansion cinématographique, dans laquelle l’ami de Perec Noureddine Mechri occupait un poste important. Depuis 1971, Perec travaille avec Bernard Queysanne à l’adaptation cinématographique d’Un homme qui dort ; mais il a bien d’autres projets cinématographiques esquissés, en chantier ou en prévision – voir Mireille Ribière, « Cinéma : les projets inaboutis de Georges Perec », CGP 9, p. 150-171.

16 Le « Crazy Horse » (un temps « Crazy Horse Saloon ») est, tout comme le « Lido », un cabaret parisien du quartier des Champs-Élysées, mais situé à une autre adresse.

17 Voir le texte 53.

18 Condo : Georges Condominas.

19 Cette visite avec Sylvia Lamblin-Richardson est notée le dimanche 19 mars dans l’agenda de Perec pour l’année 1972 (FGP 18, 2, 42 r°).

20 Albert Memmi, écrivain et essayiste français né en Tunisie.

21 Il s’agit du « Drugstore Publicis » situé à la même adresse que le groupe de communication et de publicité « Publicis » cité tout de suite après, 133 avenue des Champs-Élysées ; il est question plus bas du « Drugstore Matignon » qui, lui, était situé au rond-point des Champs-Élysées, 1 avenue Matignon.

22 René-Victor Pilhes fut en effet publicitaire et occupa de hautes fonctions à Publicis. Voir le texte 34, n. 3.

23 Célèbres chaussures anglaises pour Perec et ses amis (mais en fait de fabrication française — voir le texte 51, n. 16), vendues notamment dans un magasin de la marque sur les Champs-Élysées.

24 Maurice Pons possédait effectivement une automobile de marque Matra (voir le texte 31). Peut-être y avait-il un concessionnaire Matra sur les Champs-Élysées, où la plupart des marques automobiles ont un magasin.

25 Christine Lipinska ; Stella Baruk (Matard).

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