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38Jussieu
40Franklin

39. Italie, souvenir 2

août 1970

Lieux
Août 1970
Italie
Souvenir

Carros1 le 4 septembre 1970
18 h

Souvenir de voyages ou de vacances.

Un jour j’y accompagne J[acques] L[ederer]2 en steward. Il va y prendre l’autocar pour Orly. Cette année-là il travaille pendant toutes les vacances sur des moyen-courriers (Paris-Dakar ou Paris-Casa) puis plusieurs Paris-Londres par jour.

Prestige de son travail. P[hilippe] G[uérinat] a tenté de faire la même chose mais a été recalé. Je n’ai même pas essayé. Très bien payé par rapport aux normes de notre époque, apparemment exaltant mais en fin de compte épuisant.

Je crois que je voyais assez peu J[acques] à cette époque. 1955 ou 56 ?

Retour de Druyes avec P[aulette]3 peut-être en 61 (après les vacances ratées avec les K[leman]4) ou en 60 (premières vacances à Druyes) ou même en 65 (au retour d’Italie, ne faisant que passer à Paris avant de retourner quelques jours à Druyes, y trouvant le premier exemplaire des Choses et la note de J[ean]-C[laude] B[risville] dans l’Obs.)5 : nous avions pris le car de Druyes à Auxerre puis en stop. Avions attendu assez longtemps sur une route ingrate à l’écart du centre d’Auxerre. Finalement pris par un camion. Ne me souviens plus si nous avions parlé avec le chauffeur. Il était seul ? il avait un chien. Largué place d’Italie, quartier presque familier, un début de septembre. Descendu l’avenue des Gobelins, noté quelques films, remonté la rue Monge, retrouvé avec bonheur et émotion (oui) la rue de Quatrefages. Peut-être était-ce à une époque où nous étions particulièrement fauchés (au point d’aller voir Sylvie, rue de la Folie-Regnault, à pied, pour lui taper quelques cigarettes6 !) ; et [c’]est le lendemain de ce jour que nous avons trouvé, le matin, partant chercher quelque part du fric improbable, un chèque de Me Dauchez, notaire à Paris, nous remboursant un trop-perçu versé lors de l’achat de la rue de Quatrefages – sans doute pas Dauchez du reste, qui n’est devenu « notre notaire » que lors de l’acquisition de la rue du Bac, mais un notaire de la rue Saint-Augustin (lequel – avions-nous cru – ne rendait cet argent que parce qu’il avait été dévalisé pendant les vacances !).

J’ai arpenté l’avenue des Gobelins récemment, à la fin juin ou au début juillet7. Sortant de voir P[aulette] à Cochin8, rentrant non pas chez moi, rue de Seine, mais chez elle, rue des Boulangers9, j’ai hésité un instant entre divers cinémas : Les Sept Mercenaires, Il était une fois dans l’Ouest, L’Angleterre nue 10.

Suis pour finir rentré, sans dîner ni ciné. Regardé la télé : une émission sur Paris que la présence des Frères Jacques et d’Exercices de style égayait un peu11.

Michel R[igout] boulevard Blanqui ; pour mémoire :

– l’appareil de chauffage qui puait (la même odeur chez Duvignaud à Carthage ?)

– la valise de Nour : draps, eau de Cologne, un livre porno consacré aux fessées et fustigations

– les deux Allemandes (Gundrund12 et ?)

Les Errants

Mardi, ça saignera

– le retour des vacances chez P[hilippe] G[uérinat], près de Niort ou Parthenay13, jusqu’à trois films par jour (1956 ?)

– la manifestation (octobre ? 1960) : nombreux rassemblements rue de Quatrefages (Peretz…) ; quasiment au premier rang ! dispersion place d’Italie, les flics et leurs bidules (de quoi faire sourire aujourd’hui)14.

 

Notes additives sur le voyage

Si j’essaie de m’interroger sur mon peu de goût pour les voyages (mais où est-il ce voyage ?), je peux d’abord répondre que les paysages et les panoramas sont les choses du monde les mieux partagées, que les monuments ne sont pas beaucoup plus, d’abord, que des cartes postales très agrandies, et qu’un être humain (a human being) ne se découvre qu’au terme d’un assez long chemin.

Ce serait donc d’abord une question de temps. Le temps de savoir lire un paysage, voir une pierre, comprendre quelqu’un.

Il reste le miracle, la rencontre. Mais je dois dire qu’ils s’opèrent toujours d’une manière incontrôlable.

Ainsi, hier, traversant la France en voiture15, ai-je été presque ému aux larmes par une porte de jardin en fer forgé peinte en jaune. Elle donnait sur trois marches de briques et conduisait à un semi-lopin de terre, précédant une villa en meulière. Le tout dans les environs de Lyon.

Si j’avais un jour posé sur une ruine antique (ou tout autre objet de consommation touristique et culturelle) le même regard attendri, compréhensif et totalisant (car c’était aussi pour moi un « pan de mur jaune » au travers duquel la vie entière de la famille ici lotie m’apparaissait) que celui que j’ai donné à cette grille, je serais peut-être devenu grand voyageur.

Mais ce que j’ai aimé à Annecy, c’est le carrelage des chiottes16, à Belgrade17 c’était le coiffeur au rez-de-chaussée et le hall de l’immeuble, à Londres18 un sandwich aux concombres, à New York19 ?

L’inventaire est difficile à dresser : objets, décors ou visages qui m’ont ému ; ce que les voyages m’ont vraiment apporté.

Il y a quelques contre-exemples : dans l’avion Boston-Detroit (1967)20 : au-dessus des Grands Lacs, la minuscule tache des grands pétroliers rouges.

Les musées, ça va encore. Mais les Parthénon, le folklore et la spiritualité, Merde !

NOTES

1 Voir le texte 17, n. 1.

2 Jacques Lederer fut effectivement un temps steward (voir par exemple sa lettre de juillet 1956 dans CPL, p. 42-44) – et il a confirmé que dans le paragraphe qui suit, les initiales P.G. concernent bien Philippe Guérinat. Le pronom adverbial « y » renvoie implicitement à la place d’Italie ; « cette année-là » à 1956.

3 Druyes-les-Belles-Fontaines : voir le texte 15, n. 5.

4 Le projet de ces vacances est exposé par Perec dans des lettres écrites à Roger Kleman de Tunisie en mars et juin 1961 (voir 56 lettres à un ami, Coutras, Le Bleu du ciel, 2011, p. 104-111). Sur les relations difficiles entre Perec et Kleman, voir dans le même recueil la lettre de Perec datée du 15 février 1963 (p. 114-115). On peut lire un récit de ces « vacances ratées » dans David Bellos, GPUVDLM, p. 268 (qui les situe près de Saumur).

5 En 1965, Georges et Paulette Perec rejoignent Pierre et Denise Getzler, qui ont loué une maison pour un groupe d’amis à Tropea, en Calabre. Les Choses paraît le 1er septembre 1965 et, le même jour, une note élogieuse de Jean-Claude Brisville dans Le Nouvel Observateur, intitulée « Un couple dans le vent » (« un des livres les plus cruellement révélateurs de notre époque désœuvrée »).

6 Sylvie : peut-être Sylvie Boissonnas, ou sa fille (Sylvina) ; Sylvie, issue de la dynastie des Schlumberger, grands industriels et mécènes français, œuvra avec son mari Éric au projet architectural exemplaire de la station de ski de Flaine, en Haute-Savoie, et Pierre Getzler croit se souvenir qu’elle habita (à moins que ce ne fût sa fille) rue de la Folie-Regnault. Sylvina, devenue très riche fort jeune, fut dans le milieu des années soixante l’une des protectrices de la contre-culture parisienne, avant de fonder, entre autres, le MLF. C’est elle qui racheta aux Perec l’appartement de la rue de Quatrefages. C’était à l’origine une amie d’Henri Peretz, lequel succéda aux Perec, mais comme locataire, dans leur premier appartement. Dans la « Généalogie » amicale jointe par Perec au dossier de Lieux (voir le texte 24) figure la filiation HP (Henri Peretz) Boissonnas. Les rues de Quatrefages, dans le cinquième arrondissement, et de la Folie-Regnault, dans le onzième, sont distantes de presque quatre kilomètres ! Le prénom Sylvie accompagné du nombre 2000 apparaît par ailleurs dans une liste de personnes à qui Perec doit probablement de l’argent dans une page de notes de son agenda pour 1960 (FGP 31, 3, 2, 56 r°).

7 Cette déambulation du 25 juin 1970 est décrite dans le texte 35 (« Jussieu, souvenir 2 »).

8 Voir le texte 33, n. 5.

9 Voir le texte 33, n. 1.

10 Voir le texte 35, n. 2 et 3.

11 Le groupe des Frères Jacques avait chanté certains des Exercices de style de Raymond Queneau avec Yves Robert et sa compagnie.

12 Gudrun : Perec s’est déjà trompé sur ce prénom germanique dans le texte 17.

13 En fait à Jaunay-Clan, près de Poitiers.

14 Pour plus de précision sur ces souvenirs, se reporter au texte 17 (« Italie, souvenir 1 ») où ils sont tous évoqués.

15 Pour se rendre à Carros, près de Nice, où est écrit ce texte.

16 Voir le début du texte 37 (« Vilin, souvenir 2 »).

17 À l’occasion du séjour en Yougoslavie, durant l’été 1957.

18 Perec s’y est rendu plusieurs fois avant 1970, date de ce texte.

19 Référence au premier séjour que Perec fait dans cette ville en 1967 ; le suivant n’aura lieu qu’en 1972.

20 En juillet de cette année-là, Perec fait un séjour aux États-Unis, notamment invité à la Michigan State University, à East Lansing, non loin de Detroit.

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