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12Gaîté
14Mabillon

11. Contrescarpe, réel 1

juin 1969

Contrescarpe
Réel
Un
Juin 1969

Mercredi 18 juin 1969
& Jeudi 19 juin 1969
de 19 h à 7 h du matin

Réécrit le lundi 23 juin 1969
au Moulin d’Andé, à 17 h 30

J’ai quitté le laboratoire1 à 17 h 30 ; j’avais rendez-vous, en bas, au tabac « Le Virginie », avec Jeanne Forêt et Chabert (Comité de soutien aux prisonniers du procès de Tunis)2. À 18 h 30 je suis reparti avec eux vers Montparnasse ; ils m’ont laissé vers 19 heures à Port-Royal.

J’ai descendu le boulevard Saint-Michel, achetant au passage Pariscope et le carnet qui devait me servir à prendre des notes. Je me suis arrêté un instant à la « Librairie 73 ». Arrivé au Luxembourg, ayant choisi d’aller voir à 20 heures Jules et Jim, j’ai pris la rue Gay-Lussac, puis la rue Saint-Jacques, puis la rue du Val-de-Grâce. Après avoir hésité entre divers bistrots, je suis entré dans le café qui fait le coin de la rue du Val-de-Grâce et de la rue Henri-Barbusse mais j’en suis ressorti quasi illico, trouvant l’endroit antipathique et je suis allé prendre un sandwich au camembert, un ballon de rouge et un express au café qui fait le coin de la rue du Val-de-Grâce et du boulevard Saint-Michel3.

Peu avant 20 heures, je suis allé au cinéma « Val-de-Grâce » où j’ai vu la bande-annonce de Le Bon, la Brute et le Truand, puis Jules et Jim que je désirais surtout revoir pour les scènes tournées au Moulin. J’ai reconnu, heureux, Suzon dans la barque, et le fauteuil de la Meule4.

Sachant par expérience ou craignant d’instinct que je ne parviendrais pas à tenir toute une nuit place de la Contrescarpe en tête à tête avec un demi et un calepin, j’avais pour projet de dîner entre 22 heures et minuit, d’aller voir un des films projetés aux « Trois Luxembourg » à minuit, et de ne passer à « La Chope »5 qu’une ou deux heures entre 2 et 3-4 heures du matin, attendant que le jour se lève. Ce même projet avait foiré une quinzaine de jours auparavant (le lundi 2 juin) : ayant rencontré Gautier6 à 23 heures, j’avais dîné en sa compagnie au « Balzar »7 puis étais allé dormir chez lui à Yerres.

À 22 heures, j’ai donc redescendu le boulevard Saint-Michel. J’hésitai entre plusieurs cafés, restaurants, bars, pubs, etc. J’ai pris la rue Monsieur-le-Prince, puis Saint-André-des-Arts (rien d’intéressant au « Caméléon »), la rue Saint-Séverin (m’arrêtant quelques instants à « La Joie de Lire »8), la rue de la Huchette, puis de nouveau le boulevard Saint-Michel, attiré, comme presque chaque fois, par le « Balzar ».

J’ai dîné au « Balzar », à la banquette du fond près des comptoirs à tartes. J’avais à ma gauche 3 personnes : un monsieur genre notaire et un couple genre maquignon-maquerelle ; à ma droite deux couples de jeunes cadres, on ne peut plus cons ; eux collègues de bureau, genre s’invitant tour à tour sur leurs notes de frais. J’ai fait un dîner frugal : assiette de viande froide et salade, tarte, dont la note capouane résidait en une demi-Chiroubles9 glacée (servie dans un seau à glace). Puis j’ai pris deux cafés. J’ai échangé 2 mots avec Nicos Poulantzas10 qui était là avec son père qui venait d’arriver de Grèce. J’ai également vu Jacques Laurent11 qui dînait tout seul dans un coin assez diamétralement opposé au mien.

Je suis sorti vers minuit ; j’ai remonté le boulevard Saint-Michel. Je me suis arrêté au café « Le Luxembourg » où j’ai fait 3 tilts (pour 1 franc). J’ai gagné une partie à la loterie12.

J’ai fait un instant la queue au « Luxembourg ». Je suis allé acheter en face un paquet de Gitanes ; puis revenu dans la queue. J’avais le choix entre 3 films : un western, Le Gaucher (que je n’aime pas), un Jerry Lewis (Jerry chez les cinoques, plutôt faible) et un horrifico-érotique, Le Marquis sadique, que j’ai choisi presque sans hésitation, mais à tort : un individu inconsistant se fait passer pour un descendant direct du Marquis de Sade et déclenche les fantasmes érotiques de quelques jeunes femmes qui lui offrent gravures libertines (?) menottes et cravaches au cours d’une pseudo-orgie languissante13.

J’ai dû sortir vers 1 heure 4014. J’ai traversé le boulevard Saint-Michel (notant au passage que le « Wimpy » reste ouvert 24 heures sur 2415), j’ai pris la rue Soufflot, la rue des Fossés-Saint-Jacques, la rue de l’Estrapade (y remarquant des immeubles neufs que je n’avais jamais vus et dont je ne me souvenais même pas avoir vu les chantiers), la rue Blainville.

Il est 1 heure 55 quand j’arrive à « La Chope ». Il fait doux. On a presque l’impression qu’il fait déjà clair.

Je m’assieds à la terrasse. Il n’y a pas tellement de gens. Un air de guitare au juke-box. Je commande un café. La terrasse est aux trois quarts vide. Je peux compter 12 personnes ; il y en a un peu plus à l’intérieur.

La place : « Le Cabaret » (Arlette Reinberg) est ouvert16 ; « Les Arts » ont l’air fermé ; il y a des taxis libres à l’arrêt autour du terre-plein (de mon temps, si l’on peut se permettre une telle expression, il fallait redescendre jusqu’à Monge pour trouver des taxis asteure17).

Sur le terre-plein, trois jeunes (trop jeunes pour être vraiment clochards18) font un feu sous un arbre avec des cageots qu’ils apportent de la rue Mouffetard.

La place, de droite à gauche :

« Le Requin Chagrin », encore ouvert. À une fenêtre du premier étage, on voit une lumière pivotante, destinée sans doute à créer à l’intérieur un effet lumineux ;

la charcuterie ;

le libre-service (« Le Nègre Joyeux »)19 ;

la boulangerie ;

le magasin de journaux (il est fermé mais je pense que c’est un magasin de journaux) ;

« Les Cinq Billards » ont l’air fermé ;

« Le Cabaret » ;

une maison étroite et noire, sale ; au 3e étage est allumé un lampion de Noguchi20 ;

« L’Irlandais » (qui a l’air ouvert) ; ce doit être un bar, je ne le connaissais pas ;

« Les Arts » ;

la boulangerie ;

la boucherie.

Le feu est maintenant très haut. Il ronge le tronc d’un des quatre arbres (le plus petit, celui du côté Mouff21 : pour moi, en haut à droite). Un chauffeur de taxi intervient. Il semble qu’il y ait trois types concernés par le feu, dont un seul à l’air clochard (il a un chapeau bosselé) ; deux autres types ont amené des cageots de la rue Mouffetard.

Un taxi à l’arrêt me cache maintenant le feu et je n’aperçois plus que les crêtes. Le taxi s’en va. Le feu tendrait à s’éteindre. On le laisserait mourir.

Passe une voiture de sport. Vroom !

Un poivrot à kil de rouge22, ancien légionnaire. Il était à Saïda23. Il le répète huit à dix fois à une table non loin de moi, où trois consommateurs consomment des consommations. J’étais à Saïda moi j’étais à Saïda oui j’étais à Saïda. Un garçon l’invite à circuler, ce qu’il ne fait pas.

Au juke-box, musique de western italien (guitare et sifflotis)24.

Quatre clients descendant d’une 2cv, dont une fille (elle conduisait) porteuse de chaussettes blanches, et deux barbus.

Instant d’accalmie (après le départ du légionnaire allé boire son litron sur le terre-plein ; auparavant il en avait offert à un junome25 qui semble un familier de l’établissement) ; pendant un laps, nul véhicule, ou alors le bruit doux d’un taxi diesel.

Arrive un car de police, qui tourne lentement puis s’arrête. Les flics (dont deux en civil (?), qui regagnent leur domicile dirait-on, puisque je ne les revois plus) descendent ; trois vont sur le terre-plein : incident à propos du feu. Un des flics va chercher un seau d’eau au café « Les Arts » (dont j’apprends à l’occasion, de la bouche du junome familier de « La Chope » s’adressant aux trois consommateurs qu’agressait tout à l’heure le légionnaire, qu’il s’agirait d’un centre CDR26).

Juke-box : musique des Jeux Interdits 27.

Je me lève pour voir l’heure à l’horloge de la place : 2 heures 30. Il pleuvrote. Je vais aux chiottes. Odeurs fétides. Je change de place. Toujours à la terrasse mais dans un coin plus protégé, presque en face de la caisse. La pluie devient tout à coup très forte. Je commande un demi. Impression d’une plus grande animation. Il fait frais, presque froid. Aux premiers étages, surplombant la boulangerie et la boucherie qui jouxtent le café « Les Arts », on lit sur une corniche : « Maison de la Pomme de Pin » (suivi d’une date ?). J’ai l’impression d’inventer28.

On voit la pluie à travers la lumière d’un réverbère de la rue Lacépède. Au bar « L’Irlandais » un tilt clignote.

2 heures 45. Irruption de barbus et de filles en poncho. Il pleut toujours. On empile des chaises à la terrasse. Un veilleur de nuit à mobylette venant de la rue Lacépède vient boire un coup au comptoir. La pluie semble diminuer. Le « Requin Chagrin » ferme. L’orchestre (ou en tout cas un guitariste et trois ou quatre autres personnes) monte dans une vieille Citroën.

3 heures. De temps en temps, une lumière s’éteint. La fermeture ne tarderait plus. (Moi qui croyais que « La Chope » restait ouverte toute la nuit !)

Le jour point-il ? La nuit blanchit, c’est un fait, mais encore minuscule. Le veilleur de nuit sort ; fait un brin de causette au junome familier de l’établissement. On range de tous les côtés. On balaye. Les consommateurs s’en vont par grappes. Quatre, l’air de pauvres étudiants, montent dans une Volkswagen bleue et suisse. Un guitariste (déjà vu cinq ou six fois ce même soir, faisant un tour, ressortant, disant je vais me coucher mais restant, etc.) gratouille son instrument.

J’ai froid.

Le jour point. Un immeuble noir, carré, se détache au coin de la rue Lacépède. Un garçon ferme la cloison de verre accordéon (pliante par panneaux) isolant la terrasse. Un garçon : « Monsieur, nous fermons, s’il vous plaît ! »

Il est 3 heures 05. Il y a des petits groupes sur le terre-plein. Un gars vient me dire bonjour (évidemment je ne sais pas qui c’est) ; il me le dit : il conduisait le camion des CAL venus répéter Gatti le dimanche d’avant au Moulin29.

3 heures 10 : je sors. Discussions sur le terre-plein. Une bagarre manque éclater entre un peut-être-clochard et le junome. Le patron des « Arts » est à sa caisse. « L’Irlandais » est fermé ; plus exactement : les clients qui sont encore à l’intérieur peuvent sortir, mais les éventuel amateurs (moi) ne peuvent plus rentrer. Trois [personnes] au « Cabaret » balayent et discutent. Le patron des « Cinq Billards » est à sa porte et grommelle je ne sais quoi sans doute en rapport avec le bruit sur le terre-plein.

Passe, dans un grand bruit, un camion portant publicité pour Alkali saucisses de tortue.

Je descends la rue Mouffetard. Le « Club Félix » est ouvert (il fonctionne encore veux-je dire) ; s’en échappent quelques bribes de musique. Trois types me précèdent d’assez loin. Après le passage d’une voiture, brusque calme. J’entends un chat qui miaule ; au 64 un bébé qui pleure. Nulle lumière aux deux fenêtres des Martens (le contraire m’aurait étonné)30. Musique filtrant du « Mouffe-Club ».

3 heures 15 : premiers livreurs. En bas de la Mouffe, je prends la rue Édouard-Quénu (cet homme si célèbre dont je ne me souvenais pas que la rue fût là31 ; je la voyais plutôt du côté de la rue Pascal, ou près des Gobelins). Je remonte la rue Claude-Bernard. Parfois des secondes entières de silence. Les feux de circulation marchent32. Beaucoup de camions. Au coin de la rue Berthollet et [de] la rue Claude-Bernard, une fenêtre allumée. Au croisement de la rue Gay-Lussac et de la rue Thuillier, un chantier (jamais vu ?) presque achevé : l’extension de l’ENS (ouverture prévue pour la rentrée 69). En rouge, immense, sur une façade : « Vengeons Gilles Tautin33. »

La nuit se colore très légèrement. Il est 3 heures 35.

3 heures 45. Place du Luxembourg. Des camions descendent le boulevard Saint-Michel. J’entends (ce doit être la première fois de ma vie que ça m’arrive) le jet d’eau sur la place. J’entre au « Wimpy », prends place au bar, commande un jus d’orange et un express. Il y a un peu plus d’une dizaine de personnes. Certains mangent. J’assiste à la confection d’un wimpy. Bouah ! Mais les frites n’ont pas l’air si mauvaises. Vie au ralenti. Nul ne se sent pressé. Il y a un gérant, un cuisinier (algérien), un (ou deux) aides, une serveuse (vieille). Je ne prends pas de petit déjeuner complet, mais j’y ai pensé.

Je descends le boulevard Saint-Michel. Il est 4 heures 20 quand je passe devant la Sorbonne (je suis resté un peu plus d’une demi-heure au « Wimpy »). Les réverbères sont éteints ; je mets un certain temps avant de le remarquer.

Il passe pas mal de camions.

Il fait jour.

Il fait gris et nuageux.

Il fait très froid.

Je guette des signes d’ouverture des cafés. Le snack « Soufflot » était en train de fermer. Le « Grand Saint-André » a l’air ouvert (éclairé) mais je n’y vais pas.

Sur le pont Saint-Michel le vent chasse les nuages.

Cité : deux flics à mitraillette devant la Préfecture.

Pont du Chatelet.

« Théâtre de la Ville » : Ballet Danois (?).

Bus de nuit.

Café « Le Terminus ». Je commande un grand crème et deux tartines. Le crème est dégueulasse et les tartines minuscules. Les bus partent l’un après l’autre. Sur la même banquette que moi, mais plus loin, une jeune femme déjà vieille et son tout jeune enfant (3-4 ans). En face de moi, une folle à vin rouge qui dépiaute le contenu de son sac, de son portefeuille, pliant et repliant mille fois le même papier (quelque chose comme une feuille d’assurance, ou une ordonnance, ou un « papier de famille ») et compte et recompte sans cesse cinq ou six billets de 10 francs. Des habitués au comptoir mangent de la viande froide. Le garçon et la serveuse discutent.

5 heures : je sors. Je prends la rue du Temple, je traverse le Marais. Innombrables boutiques d’artisans : articles de Paris, confection, bouchons, porte-clés, bimbeloterie (?).

Des pigeons.

5 heures 15 : il y a plus de monde dans les rues. Mais nul café encore ouvert. J’ai froid.

J’arrive à la rue Réaumur. Je me dirige vers la Bastille.

Ici s’arrêtent mes notes, je devais être trop fatigué ; j’en avais marre, j’avais froid et sans doute pas envie de continuer ; depuis longtemps, j’avançais l’heure de mon entrée au CHU (8 heures puis 7 heures 30 puis 7).

J’ai d’abord suivi le boulevard Beaumarchais (?) ; je comptais parfois jusqu’à six ou huit personnes en même temps dans la rue (déjà une impression d’affluence). À une station de métro, des gens attendant l’ouverture des grilles. Pissé dans une pissotière du boulevard. Puis j’ai emprunté une petite rue parallèle au boulevard, mais en contrebas, qui m’a amené à la Bastille34. J’ai remarqué, avec surprise, que le grand café « La Tour d’argent35 » était fermé pour transformations. Un ou deux cafés ouverts cette fois, mais les sièges pas encore installés. On ne peut que consommer au bar, du café perco pas fameux.

Je suis allé presque jusqu’à Ledru-Rollin. J’ai acheté Le Canard enchaîné à un kiosque venant d’ouvrir, puis me suis installé dans un petit café où j’ai commandé un quart Vichy (qui m’a fait le plus grand bien) et un crème bien noir.

Vers 6 heures 15 je suis allé place d’Aligre. Les maraîchers préparaient leurs étals. Les fripiers et puciers installaient leurs tréteaux mais ne déballaient encore aucune marchandise. J’ai fait deux fois le tour de la place ; puis suis rentré dans les halles, puis suis ressorti.

6 heures 45 : je suis rentré au CHU par la porte de l’hôpital.

Tel est l’inqualifiablement incomplet résumé de 13 heures et 15 minutes de ce qu’il est convenu d’appeler mon existence, qu’exceptionnellement (en contradiction avec la règle de ce livre), je m’en vas illico montrer à Suzon.

 

 

 

Deux pages du manuscrit du texte 11.

NOTES

1 Voir le texte 1, n. 1.

2 Il s’agit des opposants de gauche au pouvoir du président Bourguiba (principalement des universitaires, des étudiants et des intellectuels) emprisonnés suite aux procès de Tunis de mars à septembre 1968 et pour lesquels l’opinion occidentale s’était mobilisée. Dans son agenda pour l’année 1969, Perec note en date du 13 juin : « Jeanne au Virginie », puis du 18 juin : « 17 h 30 Jeanne au Virginie » (FGP 25, 35 r° et 25, 35 v°) ; Jeanne Forêt, qui vivait alors en Tunisie, était la compagne de Noureddine Mechri (dans Lieux où j’ai dormi, parmi les lieux de sommeil tunisiens de Perec, figure son domicile) ; Chabert (Jean-Paul) est le nom d’un ingénieur agronome français coopérant condamné lors de ces procès (peut-être avait-il été libéré à cette date ; ou bien c’est son épouse que Perec rencontre ici, laquelle avait été active pour obtenir cette libération – mais « eux » utilisé ensuite par Perec pour désigner Jeanne Forêt et Chabert suppose – sauf incorrection grammaticale – la présence d’un élément masculin). Quoique de sensibilité de gauche, Perec n’est plus particulièrement politisé à la fin de ces années soixante mais il a de nombreuses amitiés tunisiennes (dont Noureddine Mechri), notamment forgées lors de ses années lycéennes d’Étampes. « Le Virginie » est un bar-tabac de la rue de Reuilly, presque au carrefour avec la rue du Faubourg-Saint-Antoine et donc à proximité du CHU Saint-Antoine où travaille alors Perec.

3 Curieusement, la prise de notes initiale mentionne : « 19 h 30 : sandwich au coin Val-de-Grâce-Henri-Barbusse ».

4 Le Bon, la Brute et le Truand, western de Sergio Leone (1966 ; sortie en France en 1968) ; Jules et Jim : ce film de François Truffaut (1962) a été en effet pour partie tourné au Moulin d’Andé et Suzanne Lipinska (dont Suzon est le surnom, qui apparaît ici presque exceptionnellement, Perec la désignant le plus généralement dans Lieux par l’initiale « S. ») y fait une apparition. La Meule est le nom de l’une des salles du lieu (son salon principal en fait) où un ancien système de meules est précisément visible.

5 L’un des cafés de la place de la Contrescarpe.

6 Henry Gautier, docteur et chercheur en médecine qui travaille dans le laboratoire de neurophysiologie où Perec est employé, est son principal ami dans ce milieu. L’agenda de Perec pour l’année 1969 note en date du 2 juin que Perec est revenu du Moulin d’Andé à Paris ce jour-là dans la voiture de Suzanne Lipinska, puis en fin de colonne : « chez Henry » (FGP 25, 33 v°). De nombreuses notations relatives aux lieux où il a dormi ces semaines-là montrent que Perec erre alors entre l’île Saint-Louis, la rue du Bac et le domicile de divers amis, probablement suite à une nouvelle rupture avec Paulette. Les colonnes des 18 et 19 juin sont reliées par une flèche rouge à côté de laquelle Perec a écrit : « Nuit blanche Jules et Jim Le Marquis sadique Contrescarpe ».

7 Célèbre brasserie de la rue des Écoles et institution du Quartier-Latin (le « Balzar » est mentionné par exemple dans Les Choses  Œ1 p. 30, 78 – ou dans La Disparition – ibid., p. 308, 372).

8 Dans le document de prise de notes, Perec mentionne : « rue Saint-Séverin (Masp.) » (pour François Maspero dont « La Joie de Lire » était effectivement la librairie). Perec fréquenta assidûment l’endroit, comme la plupart des militants ou sympathisants d’extrême gauche, au début des années soixante, à l’époque de La Ligne Générale et de la revue Partisans, justement créée par Maspero et qui accueillit les articles du groupe (republiés dans le volume L.G.). Dans un supplément à Je me souviens intitulé « Je me souviens des années soixante », Perec écrit justement : « Je me souviens de La Joie de Lire » (première publication dans Maurice Achard et Anne-Marie Métailié, Les Années soixante en noir et blanc, Paris, Anne-Marie Métailié, 1980, p. 211 ; repris dans « En marge de Je me souviens », dans Œ1, p. 898).

9 Une demi-bouteille de Chiroubles, vin du Beaujolais. « Capouane » : délicieuse (par référence à l’expression « Les délices de Capoue ») ; Perec affectionne ce quasi-néologisme qui apparaît déjà dans La Disparition : « Albin s’unissait à Anastasia dans un capouan plaisir » (Œ1, p. 387).

10 Philosophe marxiste qui enseignait alors la sociologie à l’université de Vincennes.

11 Écrivain représentatif de la droite littéraire d’après guerre et donc « assez diamétralement opposé » à Perec.

12 Sur le « tilt » voir le texte 5, n. 12. Le joueur pouvait gagner une partie gratuite grâce à son score ou par tirage au sort électronique (la « loterie »).

13 Le Gaucher : western d’Arthur Penn (1958) ; Jerry chez les cinoques : comédie de Frank Tashlin avec Jerry Lewis (1965) ; Le Marquis sadique, film érotique danois de Gabriel Axel (1967). Perec était cinéphile, appréciait particulièrement le western et vouait presque un culte à Jerry Lewis.

14 Perec déduit cette heure de celle de son arrivée place de la Contrescarpe, notée quant à elle sur le document de prise de notes : « 1 h 55 ».

15 Var. document de prise de notes : « Sur le chemin, la plupart des cafés fermés ou en train sauf Wimpy Table d’hôte ouvert 24 h sur 24 ». À propos de « Wimpy », voir le texte 2, n. 6.

16 Arlette Reinberg (par ailleurs metteur en scène) a tenu un cabaret appelé « La Contrescarpe » dans les années cinquante et soixante. Dans le « souvenir » de la Contrescarpe de décembre 1969 (voir le texte 24), Perec parle d’Arlette Reinberg au passé ; peut-être faut-il donc comprendre ici : « “Le Cabaret” (ex-Arlette Reinberg) ».

17 « De mon temps » : dans le milieu des années cinquante, époque où Perec fréquente beaucoup ce secteur de Paris (voir tous les « souvenirs » de la Contrescarpe) – il y reviendra à partir de 1974 et de son déménagement rue Linné ; « asteure », pour « à c’t’heure » (« à cette heure-là »), expression récurrente dans Zazie dans le métro (1959) de Raymond Queneau.

18 En cette fin des années soixante, le quartier de la Contrescarpe est l’un des quartiers hippies de Paris.

19 « Au Nègre Joyeux » en fait. Cette épicerie (ou libre-service) s’appelle « ADEP » dans les textes 31 et 88 (qui établit une équivalence entre les deux appellations « ADEP » et « Au Nègre Joyeux ») et « Codec » aux textes 114 et 134. Plus précisément, « Au nègre joyeux » était l’enseigne d’un ancien commerce de cafés (enseigne disparue récemment, en 2018) subsistant sur le mur de cette épicerie « ADEP » ou « Codec » faisant l’angle entre la place de la Contrescarpe et la rue Blainville.

20 Isamu Noguchi : designer américano-japonais.

21 Du côté de la rue Mouffetard.

22 « Un poivrot à kil de rouge » : en argot, un ivrogne du genre à avoir à la main un litre (ou une bouteille) de vin rouge ordinaire.

23 Ville du nord-ouest de l’Algérie qui abritait un régiment de la Légion étrangère française et dont la région connut plusieurs batailles durant la guerre d’indépendance algérienne.

24 À condition de remplacer la guitare par un banjo, le descriptif musical de Perec pourrait correspondre à l’un des morceaux de la célèbre bande-son d’Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone (musique d’Ennio Morricone), film tourné en 1968 et sorti en France justement durant l’été 1969.

25 Pour « jeune homme ».

26 Comités pour la défense de la République (organisations gaullistes musclées composées de civils et de militaires créées en 1968 pour favoriser le maintien au pouvoir du général de Gaulle).

27 Film de René Clément (1952) dont l’un des morceaux de musique de la bande-son, « Romance » (de Fernando Sor), était devenu une « scie » dans les décennies qui ont suivi la sortie du film, notamment grâce à la facilité d’exécution à la guitare du début de son adaptation simplifiée, qui la rendait accessible aux débutants.

28 Perec n’invente pas : voir le texte 88, n. 1.

29 Un des Comités d’action lycéens, organisations d’extrême gauche créées en 1967 et qui seront très actives jusqu’à la fin de l’année 1969. En 1967, la pièce d’Armand Gatti, V comme Vietnam, commande du Collectif intersyndical universitaire d’action pour la paix au Vietnam, fut représentée entre autres au Moulin d’Andé ; la pièce dont il est ici question, répétée au Moulin en juin 1969, est sans nul doute un autre texte de Gatti.

30 Michel Martens (et sa femme Monique, née Gontier), lui-même écrivain et scénariste, est un ami de Perec depuis l’époque de La Ligne Générale, dont il fit partie (il y était notamment chargé du cinéma) ; il collabora avec lui à l’écriture d’un synopsis de film jamais tourné, La Bande magnétique (qui est l’un des avant-textes des Choses).

31 Médecin français (1852-1933) à qui l’on doit de nombreux progrès dans le domaine de la chirurgie ; la remarque de Perec est bien évidemment ironique mais il est possible que ce nom lui fût familier en raison de son environnement professionnel.

32 C’est-à-dire qu’ils ne sont pas à l’orange clignotant, comme normalement durant la nuit à cette époque.

33 Lycéen maoïste mort noyé dans la Seine, non loin de l’usine Renault de Flins, le 10 juin 1968, en tentant d’échapper à une charge de gendarmes mobiles. Le 17 juin 1969, veille de ce « réel », une manifestation était organisée par la Gauche prolétarienne pour le premier anniversaire de cette mort.

34 Sans doute la rue des Tournelles.

35 Il s’agit de « La Tour d’Argent Bastille » (à ne pas confondre avec le célèbre restaurant du quai de la Tournelle).

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